Sa flamme s'est éteinte. Sa vie, elle, fauchée alors qu'il lui restait tant à vivre. Je regarde nos portraits de famille sur les murs du château comme s'il était encore là avec nous. Son sourire restera figé sur ses toiles pour des siècles encore. Mais plus jamais je n'aurais sa chaleur avec moi, dorénavant. Il y avait encore tant de choses que nous aurions dû nous dire. Tant que de choses qu'il aurait dû m'apprendre. Il m'avait dit que j'étais prêt, mais tout me porte à croire le contraire. Prêt à faire avec son absence, je ne le suis pas. Et encore moins à porter une couronne qui lui allait si bien. Je n'ai pas son étoffe. Pas son esprit. Je n'ai de lui que son sang mais cela ne suffira jamais pour l'égaler et faire de moi un monarque digne de ce nom. Un mois c'est même bien trop peu pour faire mon deuil, mais ma naissance m'empêche d'échapper à ce genre de responsabilités. Nous avons un rituel, après tout. Il était évident que je ne pouvais pas espérer monter sur le trône tout de suite après... après la disparition de Père. Je ne remercierais jamais assez Mère d'avoir assuré la régence à ma place pendant ce temps, quand bien même elle devait gérer son propre chagrin également. Mais jamais elle ne l'a montré au grand jour. Si elle m'autorisait à m'absenter pendant les conseils, c'est bien parce qu'elle assurait derrière en restant sérieuse et appliquée alors qu'elle souffrait en silence. C'est aujourd'hui à moi de porter sur mes épaules cet héritage qui m'a été laissé. Cela fait un mois déjà, mais j'ai l'impression que c'était hier. Habillé et coiffé, on m'attend pourtant à l'extérieur pour me couronner. En me regardant une dernière fois dans la glace, cependant, un soupir m'échappe. Je ne suis pas comme lui. Je ne serai jamais comme lui. À défaut de ne pas pouvoir lui ressembler, j'espère au moins ne pas le déshonorer. Je n'ai plus vraiment le choix que d'assumer ce qu'on a préparé pour moi dehors. Même si je ne me sens pas capable de reprendre les rênes si tôt, je préfère à ce stade mourir plutôt que de fuir et d'abandonner le royaume derrière moi. Nous sommes toujours en guerre avec nos voisins, après tout. J'aimerais avoir l'air triomphant et serein, mais mon regard est las et morne. Mes lamentations sont perturbées par quelqu'un qui toque à la porte de cette chambre trop grande.

« Entrez. »

Je ne demande pas qui c'est. Je crois savoir. Et lorsque la silhouette de ma mère se découpe dans l'encadrement de la porte avant de fermer cette dernière, sur mon visage apparaît le premier sourire de la journée. Léger, et triste, mais il est là, reflétant celui qui se trouve sur les propres traits de ma mère. Comme d'habitude, elle est toujours resplendissante. Beaucoup ont cru que la couronne de reine ne lui irait pas, mais elle tient fièrement sur sa tête, montrant qu'elle est bien assez digne de la porter. Je sais qu'elle rêve un peu secrètement aussi de la voir confiée à celle qui pourrait être ma future épouse. Mais je n'ai jamais eu la tête à la romance et elle devra attendre encore un peu avant que je lui présente quelqu'un. Pour le moment, elle accomplit son travail à merveille, et si j'arrive à me tenir debout aujourd'hui sans continuer de me morfondre, c'est grâce à son soutien infaillible sur lequel j'ai toujours pu compter.

« Tu es resplendissant. »

Elle s'approche d'une démarche silencieuse et élégante pour venir m'admirer sous toutes mes coutures. Les artisans du palais ont fait un travail remarquable sur les tenues, il est vrai. Si seulement je pouvais leur rendre hommage convenablement... Mais même les plus belles parures ne peuvent embellir mon âme en peine. Je vais devoir pourtant faire bonne figure devant Faust et les autres quand je recevrai enfin mon nouveau titre. Erf... J'aimais bien être juste prince, moi. Il y a des gens qui rêvent d'être roi, paraît-il. Pendant un temps je disais que je le souhaitais, moi aussi. Mais c'était avant de comprendre que je succéderai à mon père que lorsqu'il sera mort et c'est... C'est arrivé bien plus tôt que prévu. Bien trop tôt.

« Reste près de moi.
- Je ne te quitte pas. »


Je regarde ma mère avec une certaine appréhension au fond de mes yeux. Elle peut aisément le sentir. Avec cette douceur qui l'a toujours caractérisé, elle vient entourer mon bras pour appuyer ses dires. Je prends moi-même une grande inspiration avant que nous sortions enfin de la chambre. Encore un couloir nous sépare de la grande porte derrière laquelle se trouve la pièce où le couronnement doit avoir lieu. Mes pas pour y accéder sont incertains et maladroits, mais ma mère me guide comme si c'était les tous premiers que je faisais en ce monde. Lentement mais sûrement, nous traversons la dernière ligne droite avant que les portes ne s'ouvrent. Les invités se lèvent en même temps que le soleil derrière les vitraux colorés et transparents. Mécaniquement désormais, je m'avance jusqu'à l'autel où Faust m'attend avec le couvre-chef. Une fois que nous sommes finalement arrivés devant lui, ma mère quitte temporairement ma main pour se mettre sur le côté et me lancer un regard où se mêlent tristesse et fierté. Elle aurait voulu que ce jour arrive bien plus tard, elle aussi. Mais je sais qu'elle me soutiendra jusqu'au bout, comme elle l'a toujours fait.
Je laisse mon ami faire le discours habituel, sentant mon cœur battre de plus en plus vite maintenant que le moment est proche. Je suis toutefois rassuré que ça soit Faust qui s'en occupe. C'est ironique de savoir qu'il venait du pays voisin, à la base. Mais je sais que je peux lui faire confiance. J'arrive à être à peu près tranquille quand je sens enfin la couronne être posée sur ma tête. Un bref soupir de soulagement m'échappe. Je me lève ensuite quand je suis invité à le faire, avant de me retourner vers l'assemblée venue me voir. Cette dernière m'applaudit comme si j'avais accompli quelque chose d'extraordinaire, et je ne peux que tenter de leur sourire du mieux que je peux même si c'est maladroit. Je n'ai rien qui mérite autant d'enthousiasme. Mais si cela peut leur redonner espoir pour les jours à venir quand le pays était endeuillé, alors je veux bien faire de mon mieux pour les servir et essayer d'être à la hauteur de leurs attentes.


Je repasse dans ces couloirs où les peintures familiales défilent. Celles avec mon père sont douloureuses à voir, mais elles me ramènent en même temps à de tendres souvenirs passés avec lui. La journée s'achève à présent, après une longue journée à voir ce que je vais devoir gérer pour les années à venir. Je me hisse sur les remparts pour y apercevoir l'astre du jour sombrer à l'horizon. Ses rayons d'or se posent sur moi comme une caresse, et je me plais à imaginer que ce sont celles que mon père m'offrent une dernière fois. Il disait que le soleil se lèverait sur moi le jour où je prendrai sa place, et c'est ce qui s'est produit.
Mon regard se pose au loin où s'étendent les nuages à perte de vue. A plusieurs jours de marche d'ici, il y a un autre royaume. Le roi Kazuo est à la tête de ce pays lointain d'où j'ai récupéré des fugitifs. C'est à cause de lui que Père est mort. C'est lui qui l'a tué. Parmi mon gouvernement, certains m'ont demandé qu'est-ce que je ferai, en tant que monarque. Mais je leur ai dit que ce serait ça, ma première mesure. Que la tête de Kazuo qui se trouve au sommet de son royaume se retrouvera un jour à mes pieds, et que je la piétinerai.