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  • La nuit, tous les dragons sont gris - Page 2
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    Le dragon protecteur d'Yggdrasil s'est réveillé. Au milieu du mariage de Gaston et Camélia, souverains d'Altissia et Caldissia, la statue figée depuis un millénaire a quitté son socle pour arpenter le ciel de la cité. De son rugissement puissant, il a fait appel à des monstres sauvages pour encercler Yggdrasil, rendant les entrées et sorties en son sein impossibles. Progressivement, les vivres viennent à manquer et les stocks se vident sans pouvoir se remplir...
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    Il oublie. Il oublie que son camarade reptilien a plus de mille ans. Qu'il a vu et vécu des choses d'un autre temps, bien lointain maintenant, où tout était différent. Pas d'armées, car pas de guerres. C'était utopique. Ce que les historiens appellent "l'Âge d'Or". Un monde sans guerre, Sam ne connaît pas. Il aimerait connaître. Techniquement, Yggdrasil était censé représenter ça. Une paix entre Altissien et Caldissiens. Mais les Eossiens n'ont pas l'esprit tranquille et des tensions persistent, encore et toujours. Il n'y a eu aucun mal à déclencher une révolte. C'était même bien trop facile ; il y eu tant de volontaires qu'il en fut le premier surpris, mais le premier soulagé également. Pourtant, malgré les dires du lézard, l'Enodril pense au contraire qu'un dragon aurait été très utile au sein d'une armée. Pourquoi l'autre pense que ça n'aurait pas été le cas ?
    Un empire paisible comme ce le fut autrefois, c'est sans doute ça, qu'il souhaiterait en tant qu'empereur. Mais la question du lézard l'amène tout de même à réfléchir à la question.

    « Eh bien... »

    Il voulait... se venger. Se venger de tous les Altissiens qui l'avaient humilié, ceux qui avaient tué sa famille, mais également de tous les Caldissiens qui lui ont fait la guerre. Les regarder de haut et leur dire comme il leur était supérieur, désormais. Les obliger à se mettre à genoux et à exécuter ses ordres. Leur prouver, à tous, qu'il pouvait le faire.
    Mais pas que.

    « L'intérêt... C'était d'abord de leur montrer ce dont j'étais capable. Mais il y autre chose. Je sais ce qu'implique le rôle d'empereur. »

    Il n'aurait pas lancé ça au hasard. Il se serait contenté d'une place plus prestigieuse mais moins importante, sans autant de responsabilités. Il avait cette impression au fond de lui, cependant, qu'il devait faire quelque chose pour changer les choses dans son pays et que c'était à lui de le faire. De prendre la place de Gaston qui n'était de toute manière pas taillé pour ce rôle.
    Ses yeux se baladent sur la carte. C'est difficile d'expliquer ce qu'il a vraiment en tête, et pourtant c'est clair dans son esprit et dans son désir. Même si ça peut paraître idéaliste ou invraisemblable.

    « Je veux... unifier toutes les terres. Ne pas seulement être empereur sur le territoire d'Altissia, mais conquérir aussi Caldissia. Je souhaite qu'il n'y ait plus jamais de guerre, comme à ton époque où il n'y avait qu'une seule nation. Pour moi, je pense qu'un monde idéal, ça commencerait par là. Pourquoi pas donner un nouveau nom aux Elysians, même. Et... »

    Il parle beaucoup, il s'en rend compte. Il n'y a pas que pour les Elysians qu'il fait ça, après tout. Pas que pour lui non plus.

    « Je ne peux comprendre la peine des Eossiens, mais je la partage. Ils méritent une meilleure vie où ils ne seraient pas maltraités. Je leur donnerai les mêmes droits qu'à tous, et ils pourraient vivre où bon leur semble dans la cité, voire ailleurs, au-delà... »

    Faire preuve d'altruisme dans sa vie, il n'y pensait pas spécialement. Mais quand il a été témoin de la manière dont les Elysians s'occupaient des natifs, ça lui a fait un coup à la poitrine bien plus fort qu'il n'y pensait. Et plus encore quand ils furent les premiers à le rejoindre dans sa cause. Pour eux c'était évident, mais pour lui, c'était une surprise, et un soulagement.
    Quand il a fini, sa tête se lève vers le dragon.

    « Toi... Que ferais-tu, si tu avais le pouvoir ? »

    La réponse l'intrigue. Mais comme le pouvoir n'intéresse pas la créature ailée, il sait qu'il ne devrait pas s'attendre à grand chose. Il y a pourtant bien des choses qu'il désire au fond de lui, non ?

    « Et... Et que feras-tu, lorsque nous aurons réussi ? Je t'ai promis de te donner une récompense, je ne l'ai pas oublié. »

    N'y a-t-il vraiment rien qui pourrait motiver son colocataire ? Hormis... des fruits.

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    La plupart du temps, les motivations d’autrui lui sont incompréhensibles. Ou, au mieux, contradictoires. Les autres ont tendance à mentir et l'altissien n'est pas une exception à cette constatation. Il ne s'attend pas, dans les faits, à une vraie réponse. Une phrase toute faite, tout au mieux. Pourtant, ce n'est pas vraiment ce qui arrive. Curieux, le dragon observe l'humanoïde sans un mot, le regard critique et perplexe tandis qu'il parle. Ce qu'il entend fait à peu près sens avec ce qu'il connaît de l'individu en face de lui, même si certaines choses l'étonnent. La sincérité dont il semble faire preuve, tout d'abord. Depuis quand exactement était-il si franc... ? Peut-être toujours, quelque part. C'était ce qui le rendait tolérable aux yeux du magimorphe.
    Autre chose... ?

    Des terres unifiés, cela ne lui parle pas particulièrement, principalement car lui n'a jamais connu autre chose que cela. Qu'Yggdrasil, seule, sans ennemis ni alliés. Maintenant, une telle chose n'existait plus ; ne pouvait plus exister, même. Et, de ce qu'il entendait, il serait impossible de la réaliser sans la guerre. Natsume est dubitatif. Il n'est pas certain qu'il s'agisse d'objectifs réalisables, alors il fronce un peu les sourcils qu'il n'a pas dans cette forme, dévisageant son interlocuteur avec un mélange d'interrogation et de curiosité.
    Il est... Sérieux.
    C'est étrange à observer, venant de quelqu'un qui est d'ordinaire en permanence en train de jouer la comédie ou de se moquer d'à peu près tout. Et à vrai dire, qu'il soit même ne serait-ce que vaguement perturbé par le sort des éossiens étonne le dragon. Est-ce une manière de tenter de le manipuler... ? Non, ça n'en a pas l'air. Ou du moins, cela ne fonctionnerait pas vraiment, puisqu'à ce stade, il ne s'agissait même plus de sa première priorité. Mais le magimorphe est intrigué, en tous cas. Il n'y a plus la même froideur ordinaire sur son visage, mais plutôt une curiosité qu'il ne cache plus. Ainsi, lorsque l'autre l'interroge, il est véritablement pris de court et cligne des yeux, sa gueule s'ouvrant et se fermant sans qu'un mot ne sorte. Qu'est-ce qu'il ferait, si il avait le pouvoir... ? Qu'est-ce qu'il fera, lorsque tout ceci sera terminé ? … La réponse est simple mais elle n'est pas nécessairement ce que l'altissien attend, sans doute.

    « Je n'en sais rien. »

    Il n'y a, après tout, rien qui le retient nulle part, et rien qu'il ne lui reste, maintenant. Même son nom n'a plus vraiment d'importance : c'est bien pour ça qu'il ne s'en sert plus. Pour l'instant, il a un but, des choses à faire. Jusqu'à quand, exactement ? … Il n'a pas nécessairement envie de penser ou de répondre à la question. Sa tête bouge dans un hochement négatif. Son regard se voile.

    « Je ne cherche pas de récompense. Je souhaitais que ce monde change. »

    L'aime-t-il encore, d'ailleurs, ce monde ? Souhaitait-il son bien... ? Son objectif est loin d'être aussi noble que ne l'est celui de son interlocuteur, ou du moins c'est ainsi qu'il le perçoit. Il est guidé par quelque chose de plus personnel, de plus puéril. Il n'est pas sûr d'avoir désiré autre chose qu'une idée de changement, qu'une envie de chaos, sans vrai regard sur les conséquences potentielles. Est-ce important, pour une arme, de savoir où elle est plantée ?

    « Si tu dis la vérité, alors j'ai déjà ce que je souhaitais. »

    Et après ? La question continue de le hanter, de tourner dans ses pensées. Il rouillera quelque part, sûrement, jusqu'à finir par disparaître. Il n'a pas nécessairement envie de plus, ni de quoi que ce soit, après tout.

    « Si j'avais le pouvoir, je l'abandonnerai à la seconde où je l'obtiendrais. »

    L'idée même le révulse. Le dégoûte. A quoi cela rimerait, au final ? Quel intérêt y aurait-il à diriger, à choisir pour les autres... ? Aucun. C'est un rôle qu'il détesterait avoir. Il ne veut rien avoir à faire avec ça. Pourtant, il n'y a rien qu'il souhaiterait davantage que voir le monde qu'il connaît changer ; pourquoi, exactement ? C'est paradoxal, il en a bien conscience. Sans doute quelque part au fond de lui y-a-t-il un reste, un morceau de ce qu'il aurait désiré fut un temps ; mais il n'est même plus capable de le reconnaître et de le retrouver, à présent. Tout lui semble être devenu fade, être devenu flou. Alors, au final, il se retrouve à errer avec un objectif qu'il n'est même pas capable de justifier ou de saisir pleinement. L'admission n'a rien de particulièrement glorieuse. Lui n'a pas de discours à faire, ou de conviction aussi forte que celle de son vis-à-vis. Il ne comprend même pas, à vrai dire, pourquoi l'autre lui pose ces questions. Qu'est-ce que cela changerait, au fond... ? Seulement pour le récompenser ? Il n'en veut pas. C'est une perte de temps.
    Il ne veut, surtout, pas se poser la question.

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    Ils ne sont pas animés par les mêmes choses. Le dragon ne semble pas animé tout court par une quelconque volonté. Il observe, il soutient, il aide, il agit, mais jamais il n'exprime de désirs individuels. Comme s'il en était dépossédé. Comme s'il n'avait pas de rêve. Si l'Enodril atteint son objectif, le sien sera aussi accompli. Mais en dehors de ça, le lézard reste flou, et nullement envieux d'un cadeau quelconque pour récompenser son support. Le chevalier trouve ça triste : pour lui, c'est le signe que le lézard ne croit ni ne tient plus à rien, pas même à sa propre vie. Il avait pensé, à la limite, lui donner au moins quelque chose à se raccrocher : mais ce sera bientôt fini. Pourtant... Il commençait à l'apprécier. Un peu. Il aurait voulu en savoir davantage sur lui. Mais s'il ne souhaite rien d'autre, alors l'humain ne le forcera pas. Quand il sera sur le trône, il aura tout le temps de lui trouver quelque chose à faire.




    Lui qui pensait être trop nerveux le jour j, il l'est en fait tellement que c'est l'excitation et l'impatience qui ont pris le dessus. Lui qui n'est jamais anxieux, c'est à peine croyable qu'il puisse sentir pareille émotion quand le but est aussi proche. La vérité est qu'il s'inquiète pour le dragon. Il veut qu'il s'en sorte, lui aussi. Samaël s'en sent un peu responsable : c'est suite à sa proposition qu'il a décidé de sortir de sa cage. Alors c'est devenu un peu étrange : sans savoir si on peut dire qu'ils se font totalement confiance, l'Enodril sait qu'il peut compter quand même sur la créature ailée. C'est leur parole qui fait tenir leur lien et chacun respecte la sienne.
    Grâce aux conseils du dragon, l'opération se déroule mieux que prévu et l'effet de surprise joue bel et bien en leur faveur. Les Eossiens, plus que volontaires, émettent une telle énergie que ça finit par devenir contagieux. Les troupes sont motivées, déterminées, et c'est sans doute ce qui fait la différence quand ils s'en prennent au Centre de Commandement. Leur rage de vivre et de vaincre leur amène victoires ici et là et peu à peu, cet espace où trône une impressionnante statue de dragon finit par leur revenir. Natifs mais aussi Elysians, même si les différences persistent, s'entraident temporairement pour prendre d'assaut le bâtiment dont les entrées sont habituellement si réservées. Cette fois, c'est la débandade. Les gardes du palais, quand ils ne combattent pas courageusement jusqu'à ne plus pouvoir le faire, s'enfuient sans demander leurs restes ou pire encore, supplient de les laisser prendre part à la révolte qui gronde et rugit.

    Après s'être débarrassé de la surveillance des quartiers royaux, Samaël fait irruption dans la chambre de l'Empereur en compagnie du magimorphe. Camélia, un peu plus futée que son homologue rouge, a réussi de justesse à s'enfuir : mais son cas viendra et on a couru prévenir Caldis de la fuite de la reine. Devant un gringalet tremblant des genoux à peine sorti de l'adolescence, l'Enodril pointe son épée juste devant lui avec un regard sévère qui ne laisse pas de place aux négociations.

    « C'est fini, Gaston. »

    Pour le rouquin, c'est le dragon qui finira le travail. Il le désirait quand il était en cage, alors le Général se dit qu'il lui doit bien ça. Mais parfois, maintenant qu'il est face à lui, Sam oublie comme l'Empereur est jeune, et comme, finalement, c'est une place qui ne tient pas à grand chose. Qu'on le critique une fois sur le trône, mais il a confiance sur le fait qu'il ne pourra jamais faire pire que ce prépubère dont il sent la peur émaner avec une certaine force.

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    La conversation prend fin, mais les questions qu'elle a énoncé continuent de flotter dans l'air. Le dragon n'aime pas ça. Dans ses tripes s'est formé un nœud, un inconfort, une sensation de malaise qu'il ne percevait plus depuis plusieurs semaines, quelque chose qu'il avait réussi à étouffer jusqu'à ne plus rien sentir. Son retour est pénible, agaçant, frustrant. Il n'en veut pas. Il n'en veut plus.
    Mais demain, peut-être n'y aura-t-il plus rien. Peut-être même ne sera-t-il plus là.
    La pensée est étrangement attirante.


    C'est étrange, de revenir ici.
    Ces murs étaient ceux d'un sanctuaire ; le plus grand de tout Yggdrasil. Le cœur de leur foi, le poumon de leur cité. Ils étaient plus vieux que n'importe lequel d'entre eux ; les murs avaient vu passer des générations, des siècles de visages et de dialectes, des populations venues chercher refuge de toute la terre connue. Les grandes archives sont-elles toujours aussi poussiéreuses ? Ont-il chassé les textes qui s'y trouvaient pour les remplacer par les leurs ? Qu'est-il advenu des jardins, dans lesquels tous pouvaient trouver refuge et se nourrir lorsque le besoin se faisait sentir ?
    Sans doute se serait-il posé ces questions, en temps normal. Sans doute s'en serait-il préoccupé davantage, sans doute aurait-il eu plus d'égard enfin les pierres que ses pattes foulent.

    Mais, aujourd'hui, il n'y avait qu'une rage furieuse dans ses pensées.
    Ses pattes lourdes bougent sans se soucier d'où elles se posent, sa gueule laisse déferler des gerbes de flammes brûlantes. Ses crocs se plantent dans des chairs qui tentent de l'empaler, ses hurlements furieux résonnent entre les murs alors que les couleurs chatoyantes des vitraux s'illuminent au gré des implosions de lumière que sa magie rugissante fait surgir ici et là. Il n'est plus qu'une bête enragée et c'est exactement ce qu'on a toujours dit de lui ; ce qu'on a attendu, ce qu'on a modelé. Une créature déchaînée sur un ennemi, quel qu'il soit.
    Et ils tombent, petit à petit, les uns après les autres. Les éossiens les suivent, les accompagnent, même. Quelques murmures passent entre les rangs, certains parmi les plus âgés le dévisagent sans oser prendre la parole, comme si ils n'étaient pas sûr exactement de pouvoir le reconnaître avec précision. Ceux qui l'avaient vu comme un danger semblent bienheureux maintenant d'avoir une arme à leurs mains, mais il n'en ressent aucune satisfaction. Leur présence est utile mais elle l'indiffère. Il n'y a qu'un creux vide dans sa poitrine, un froid glacé qui ne laisse plus rien remonter. Le sang tache ses écailles, les lames glissent parfois contre sa peau mais il persiste, en dépit des cris, en dépit de la douleur qu'il sent dans ses membres. Le combat devient, de toute façon, bien vite déséquilibré : les défenseurs se font moindre, fuient, meurent ou finissent par les rejoindre en tremblant des jambes.

    Et, finalement, la course arrive à son terme. Ils pénètrent dans la chambre impériale sans difficulté, comme si les troupes ne cherchaient même pas vraiment à la défendre. Alors que le soldat à ses côtés pointe son arme contre son empereur, le regard de la bête se pose sur cette silhouette qu'il n'avait jamais aperçu jusque là.
    C'est un enfant.
    Ses yeux feintés ne bougent pas. Sa gueule est couverte de sang, ses écailles sont poisseuses et abîmées. Il observe, sans un mot, alors que son acolyte s'attend sûrement à ce que ses crocs se referment sur le corps fluet juste devant lui. Il n'a même pas besoin d'odorat pour sentir la terreur qui émane de ce dernier. L'expression fermée, le dragon ne bouge toutefois pas. Il reste silencieux, son regard d'ambre voilé par une intense fatigue.

    « Alors c'est ça, qui est responsable... ? »

    Non, pas directement. C'est évident. La pensée était réconfortante il y encore peu, lorsqu'il était enchaîné dans un cage et que la dernière chose que ses yeux avaient vu était le corps sans vie de sa mère. Elle lui donnait un ennemi, un objectif, une idée de vengeance simple. Puisqu'il était empereur, alors la faute devait lui incomber. C'était aussi facile que ça.
    Mais non. C'est bien plus dense, bien plus large, bien plus complexe. Il n'y a personne de précis à blâmer, personne qu'il peut déchirer entre ses crocs jusqu'à être satisfait, jusqu'à ce que cette douleur insupportable dans sa poitrine ne finisse par disparaître et qu'il arrive, peut-être, à nouveau à sentir quelque chose d'autre. Alors qu'il observe l'adolescent en train de trembler devant lui, la constatation est cruellement simple.
    Ça n'arrivera jamais.

    « Va-t'en. »

    Il reprend la parole, mais sa voix est plus lourde, plus lasse. Il est couvert de sang mais ne ressent pas le besoin d'en faire couler davantage. Il ne se sent pas plus satisfait depuis tout à l'heure. Il ne se sentira pas mieux.

    « Fuis et fais-toi discret. Disparais de la terre. Si tu reviens, je brûlerai tout ce que je trouverai jusqu'à ce que tu ne finisse entre mes crocs, quitte à ce que ce soit dans mon dernier souffle. »

    C'est une promesse qu'il fait dans l'épuisement, mais il n'a plus rien à perdre qui ne l'empêcherait de l’exaucer. Et, de toute manière, il ne croit pas vraiment avoir besoin de la faire : l'empereur terrifié en face de lui ne compte pas se battre. Peut-être ne désire-t-il même pas le pouvoir, à vrai dire. L'a-t-il vraiment possédé, de toute manière ? Peut-on attribuer à une seule personne le fait de tout un peuple ? … Il en est de moins en moins sûr.  
    Alors l'enfant fuit. Maladroitement, les jambes flagellantes, chutant à plusieurs reprises alors qu'il se glisse entre les dernières ouvertures qui lui permettront de devenir une personne quelconque parmi tant d'autres, un visage inconnu dans la foule. Le dragon le laisse partir sans un regard, sans bouger, sans chercher à le rattraper. Tant pis si son allié en est mécontent ; il ne voit de toute manière pas l'intérêt d'achever quelqu'un qui n'a plus aucun pouvoir. Il n'en a plus la motivation.

    Son regard reste perdu sur un point invisible dans l'air. C'est terminé. Sans fracas, sans éclat. Bientôt, la nouvelle de leur réussite sera connue dehors. Il y aura des célébrations, des deuils, des cris de toute part, contradictoires et complémentaires tout à la fois. Cela ne l'intéresse pas tant que ça. Ici, pour l'instant, il n'y a que le silence. Le silence et l'odeur du sang, le goût d'acier dans sa gueule, la douleur dans ses membres.
    Le creux vide dans sa poitrine.

    « J'ai menti. »

    Il parle sans regarder l'altissien. Il ne l'évite pas mais ne se fixe même pas sur lui, comme si ses yeux étaient perdus loin, dans des pensées vagues et lointaines. Il n'en veut plus.

    « Il y a bien... Une chose que tu puisses m'offrir. »

    Leur conversation d'hier lui revient. Remonte. À ce moment-là, il n'avait pas de certitude, ou du moins ne souhaitait pas y penser. Peut-être savait-il, au fond, ce à quoi il finirait inéluctablement à aspirer. C'est tellement évident maintenant qu'il ne pourrait plus le nier. Le regard éteint, il fixe la pierre au sol comme si quelque chose allait en émerger, comme si quelque chose pouvait germer dans la roche la plus dénuée de vie. Rien ne vient, pourtant, et il le savait bien avant. Rien ne nait dans la mort. Pourquoi s'est-il battu aussi férocement, aujourd'hui ? Pourquoi s'est-il lancé dans la bataille avec autant d'énergie et de vigueur, de mépris pour sa propre sûreté ? Par conviction... ? Non, pas vraiment. Pour autre chose. Pour un autre but, bien plus ridicule, bien plus sommaire, bien plus viscéralement égoïste.

    « Tue-moi. »

    Juste ça.

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    Le dragon ne cache pas sa surprise. Elle est compréhensible. Altissia est une nation puissante qu'on ne pourrait pas croire se trouver entre les mains d'un garçon dont l'âge oscille entre celui d'adolescent et d'adulte. Ses yeux reflètent toute la peur qu'il éprouve en voyant devant lui une créature grondante aux crocs acérés et un de ses soldats les plus forts, tous deux les mains plongés dans le sang de ceux qui étaient censés protéger l'empereur. L'épée levée en sa direction, le militaire attend que son partenaire de crime agisse. Et en effet, s'il agit, c'est d'une façon assez étonnante, loin de ce qu'il avait imaginé quand il pensait à la confrontation tant attendue avec Gaston. C'est peut-être maintenant qu'il l'a en face de lui que le lézard volant est revenu sur sa décision. Qu'il le tue ou le laisse fuir, peu importe de toute façon pour Sam puisque le résultat est le même et que la menace suivante du reptile est bien assez claire. Gaston se relève avec maladresse pour s'enfuir tout aussi gauchement et ne se fait pas prier, hochant seulement de la tête, le corps tremblant, pour signifier qu'il a bien compris ce qu'il risquait à revenir. Oros sait qu'à l'évidence, il ne reviendra pas. Il n'a jamais eu envie de régner et ce n'est nullement surprenant, vu comment il "dirigeait" son peuple.

    Alors quoi, maintenant que la couronne est tombée et qu'elle git désormais là, sur le sol de la chambre royale ? C'est une victoire. C'est la seule chose dont l'Enodril est sûr à l'heure actuelle. La seule chose qu'il arrive à réaliser même si son cœur tambourine et qu'il peine à croire qu'il n'y a, pour l'heure, plus d'empereur qui pourrait lui tenir tête et s'immiscer entre lui et son rêve.
    C'est son acolyte qui brise le silence en premier. Son ton est morne, malgré ce qu'il dit. Malgré ce que ça provoque chez le rouquin. Ce dernier paraît soulager de trouver une récompense qui pourrait, finalement, contenter la bête à pointes alors que rien ne semblait pouvoir faire son bonheur.
    La réponse qu'il obtient, toutefois, lui fait perdre le sourire fier qu'il arborait.
    "Tue-moi."
    Il rit.

    « Décidément, l'humour n'a jamais été ton fort ! »

    Mais il n'y croit pas tant que ça lui-même. C'est pourtant bien une blague, non ? Cela ne peut pas être chose. Il refuse. C'est trop soudain et trop dérisoire.

    « Attends... Tu es sérieux ?.. Après tout ce qu'on a fait ?.. »

    Il reprend un air grave. Troublé. Cette demande lui fait un peu peur aussi ; et pourtant, la peur, il ne l'a pas souvent côtoyé. Très souvent il s'en est même moqué. L'Enodril peine donc à comprendre. Se place devant le dragon. Veut le mettre devant le fait accompli.

    « Tout. Tu peux tout avoir. Des montagnes de fruits, des vêtements flambant neuf, un endroit où vivre tranquille, je sais pas... Alors... »

    Son esprit est perdu. Il ne dira pas que l'autre respire la joie de vivre, mais il ne pensait pas que ça pourrait être à ce point. Il ne pensait pas qu'il pourrait juste vouloir que tout s'arrête. Il ne comprend pas. Il veut comprendre.

    « Pourquoi ?.. »

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    Sa demande est accueillie par un rire. Il ne le prend pas pour une moquerie car ce n'en est pas le ton, mais son expression reste de marbre. Il ne plaisante pas et le chevalier semble le réaliser peu à peu, malgré son incrédulité évidente. Silencieux, le dragon ne répond pas immédiatement, le regard fixé sur la silhouette de cet humain étrange qui semble bien incapable de répondre à sa requête, soudainement. Pourquoi cela le tracasse-t-il tant ? Il a tué par centaines, ces dernières semaines. Sa voix fléchit, pourtant, s'indigne presque. Le magimorphe ne bouge pas mais son regard continue de s'obscurcir de fatigue au fur et à mesure que l'altissien parle. Tout ce qu'il énoncé sont sans doute des choses désirées par beaucoup ; mais pas par lui. Au contraire, plus il y pense, et plus cela soulève en lui une amertume froide, fait remonter un épuisement qui ne parvient plus à dissimuler.  C'est pourtant simple.

    « Je suis fatigué. »

    Fatigué de résister face à cette houle de peine et de douleur qui ne cesse de grandir en lui. Qui ne part pas et ne partira pas. Qui laisse tout pourrir autour d'elle. Fatigué de ne plus trouver goût à rien, de ne plus aspirer à quoi que ce soit. Fatigué d'avoir mal et de faire mal. Fatigué de regarder le temps s'écouler en attendant la mort. On lui avait dit que chaque réincarnation était un cadeau, qu'il fallait la bénir, et qu'il n'y avait pas pire offense à Yggdrasil que d'y mettre un terme. Alors il ne s'était jamais permis de le faire : mais, en réalité, c'est devenu la seule chose qui lui offre encore un peu d'espoir. Un désir que ne peut sans doute pas comprendre l'humain en face de lui, sûrement. En même temps, lui est porté vers le futur, vers ce qui peut advenir. Natsume se sait ne pas être aussi courageux que ça. Le présent et le passé lui sont trop amers pour qu'il donne sa chance à ce qui sera. Et ce ne sont pas les offres que lui font l'altissien qui changent quoi que ce soit à ce propos, lui tirant même un rictus désabusé et las.

    « Je n'ai jamais voulu... Rien de tout ça. »

    Qu'avait-il cherché, durant toutes ces années... ? Bien peu, en réalité. Peut-être juste qu'on le tolère, qu'on ne le déteste pas, qu'on ne voit pas en lui un monstre ou un danger. Mais maintenant, il serait bien incapable de nier qu'il n'est pas devenu exactement ça ; un chien enragé qu'il ne reste plus qu'à achever. Alors le dragon essaie de le convaincre, de faire entendre raison à l'humanoïde qui n'a pourtant plus besoin de lui, maintenant, et pour qui il devrait être simple de faire ce simple petit geste.

    « Personne ne m'attend. Tu feras des heureux chez les miens, en ramenant ma tête, même. »

    Il en rirait si il n'était pas si fatigué. Mais c'est vrai, n'est-ce pas ? Si le soldat montrait sa tête aux éossiens, sans doute seraient-ils soulagés ; peut-être même l'acclameraient-ils. Il a sa couronne, maintenant ; il n'aurait qu'à voir ça comme un trophée.

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    La confiance qu'il possédait en lui, aussi grande fut-elle, se fait emporter par le vent comme du sable fin. Il n'est plus aussi assuré que tout à l'heure. Même la prise sur son arme se fait plus nerveuse d'un coup. Il en aurait presque peur. Le dragon n'hésite pas, cependant. Il a l'air d'avoir bien réfléchi à ce qu'il souhaitait. Et l'Enodril le sent, en effet, fatigué, comme il l'annonce lui-même. Fatigué de la vie. Et les cadeaux dont il lui parle sont bien pauvres par rapport à sa volonté d'en finir. Le reptile est simple, il n'a besoin de rien. Il n'est ni cupide, ni avare. C'est une qualité qu'il apprécie beaucoup chez celui qui fut son colocataire, mais la résolution et l'épuisement dans sa voix lui donnent l'impression qu'il s'enlise. Que la satisfaction qu'il imaginait une fois tout ceci terminé lui échappe des mains, alors que pourtant la couronne est bien là et qu'il suffit pour lui de se pencher afin de la récupérer.

    « Je... Je sais que je t'ai promis ce que tu voulais, mais... Mais... »

    Couper sa tête ? La ramener fièrement auprès des natifs qui l'acclameraient pour ça ? Est-ce qu'il se voit vraiment en train de faire ça ? Est-ce qu'il serait capable de contenter le désir du dragon ?
    L'humain se montre tout à coup plus incertain. Il réfléchit. Doit trouver une solution.

    « Tu veux pas... euh... a-attendre mon couronnement, au moins ?.. C'est grâce à toi, si j'ai pu en arriver là. »

    Gagner du temps ne résoudra pourtant pas le souci. Cela ne fera que retarder le processus. Il n'a pas envie de le tuer mais il respecte en même temps assez le dragon pour lui donner ce qu'il souhaite. Il lui doit bien ça, si tel est vraiment son désir. La pensée, néanmoins, lui tord l'estomac un peu plus à chaque fois.

    « Pourquoi... Les Eossiens te détestent autant ? »

    Ça aussi, il aimerait bien comprendre. Sam avait plus ou moins saisi qu'il était isolé des autres, mais il ne voit vraiment pas où est le problème avec le lézard, ou ce qu'il a pu faire de mal pour qu'ils aient une opinion aussi négative de lui.

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    Il y a de l'hésitation sur le visage de l'altissien. C'est étrange à voir. Difficilement compréhensible, aussi, pour le dragon qui observe le militaire en silence. Il cherche à gagner du temps, c'est évident. Même pour lui. Le magimorphe ne saisit pas vraiment pourquoi, à vrai dire, mais il ne fait aucune remarque. Il serait même prêt à accepter son offre, à vrai dire. Qu'est-ce que ça lui coûterait, après tout, d'attendre encore un peu... ? Pas énormément. Pourquoi pas, si cela lui simplifiait les choses. Il n'était pas à ça près. Il pouvait bien lui offrir ce service.
    La question qui vient suite, toutefois, est accueilli par du silence en premier lieu. Plusieurs secondes passent, sans réponse. À vrai dire, il s'est posé la même question pendant longtemps ; pendant des années, parfois matin et soir. Parfois avec rancoeur, parfois avec dégoût, souvent avec peine et dépit. Alors lorsqu'il finit par parler à nouveau, c'est avec un désabus évident sur le visage.

    « Je suis né. Et... Je vis encore. Comme une menace. »

    N'avait-il pas réalisé cette prophétie, en outre ? Il n'avait fait que ça. Ils avaient raison depuis le début, ironiquement, et il en rirait si il n'était pas trop fatigué pour le faire. Il ne sent pas de rentrer dans les détais, et à vrai dire, il ne croit pas avoir besoin de le faire davantage. Son regard reste posé sur la silhouette de l'humain devant lui. Il y a bien quelque chose qu'il a cru comprendre, au cours de ces dernières semaines.

    « Je crois... Que tu connais le sentiment. »

    Que, d'une certaine manière... Il pourrait saisir.

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    Même si ce n'est pas un humain, le dragon est un être doué d'une conscience et d'émotions. C'est un être vivant avec qui il a pu parler, avec qui il a partager une sorte de quotidien pendant plus d'un mois. Une alliance qui, au final, est brève mais qui a été une force incroyable pour mettre en place lentement mais sûrement son ascension au trône. Et maintenant qu'ils ont réussi, ils devraient se quitter ? Il devrait le tuer ?..
    Une menace...
    Les yeux de la bête se lèvent vers lui. D'un coup, le soldat se sent percé à jour, comme s'il pouvait lire en lui. La différence ne semble pas énorme, au fond. Le regard de l'Enodril s'abaisse au sol, s'éteignant un peu plus à chaque fois que le sujet s'alourdit. Sam ne sait pas vraiment si ses semblables le voyaient réellement comme une menace.
    Mais comme un indésirable, ça oui.

    « Eh bien... L'enfermement, on me l'a encore jamais fait, au moins, haha. »

    Un rire jaune sort. Il préfère toutefois rester optimiste. C'est ce qui lui a toujours permis de tenir en ce monde.

    « On a pas... à être des menaces. On peut dépasser cette condition. »

    Optimiste ou utopiste, sans doute trop rêveur pour les espoirs fous qu'il conçoit, mais lui qui s'imaginait empereur, le voilà sur le point de l'être. Alors peut-il vraiment abandonner les idées même trop grandes ?

    « Moi, en tout cas, je ne te vois pas comme une menace. »

    Ses traits viennent à s'adoucir. Avec lenteur, sa main se pose sur le museau du dragon. Les pointes pourraient sembler douloureuses : elles ne le sont pas. Il a même sur son visage un sourire, timide mais tendre, et rares sont ceux qui ont pu l'apercevoir.

    « Je... »

    Il réfléchissait. Allait sortir une phrase à l'apparence toute faite mais qui avait pour but de rassurer un peu la bête. C'est une douleur paralysante qui l'arrête dans sa lancée, alors qu'il sent quelque chose lui déchirer la poitrine. Pas au niveau du cœur, mais tout de même. Stupéfait, il baisse la tête pour découvrir une flèche tranchante sortant de son armure qu'elle a transpercé. Ses mains viennent autour du trou qui s'est formé, d'où du sang s'échappe. Le sien, pour une fois. En tournant légèrement la tête, il aperçoit un garde, amoché, tenir une arbalète entre ses mains. L'épée du militaire tombe sur la pierre, tout comme ses genoux qui flanchent et peinent à le retenir.

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    Il ne veut pas de pitié, et fort heureusement, il sait qu'il n'en aura pas de la part de son vis-à-vis. C'est bien un des traits qu'il apprécie chez lui, d'ailleurs, cette sorte d'honnêteté brusque avec lui malgré qu'il le sache bon menteur. Ça, et sa capacité à rire même dans l'absurde. Sa gueule se pare brièvement d'un rictus, même fatigué, même faible. L'altissien a le mérite d'être drôle.
    Le dragon l'écoute même si il peine à croire à ce qu'il entend, même si il est dubitatif. Est-ce vraiment possible... ? Il n'en est pas sûr. Son regard se voile d'incertitude, d'une certaine crainte, quelque part. Ce qu'il dit est tentant, mais Natsume ne sait pas ce qu'il peut être d'autre, maintenant. Il n'a jamais été autre chose, et il ne sait pas si il serait capable de le devenir. Le pourrait-il... ? Le soldat le dit avec une telle conviction, douce et bienveillante, que le dragon aimerait le croire. Sa gorge se noue et il reste silencieux. Il ne chasse pas la main qui vient se poser sur son museau car elle ne lui fera aucun mal, il le sait. Cette expression et cette voix-là lui vont mieux, pense-t-il distraitement. Quelque chose de chaud fourmille dans sa poitrine, même de loin, même si c'est encore faible ; c'est quelque chose qu'il avait presque oublié.
    Tu es peut-être le seul.

    Il est distrait. Déconcentré. Il ne regarde plus autour de lui et son attention est restée trop longtemps fixée sur la silhouette devant lui. Bien trop longtemps, car un bruit de chair déchirée le surprend, le prend de court. Il ne comprend pas tout de suite ce qui s'est passé. Son regard se baisse et son cœur rate un battement.
    Il y a une flèche, juste là. Un carreau d'arbalète a transpercé la chair, et ses yeux ne parviennent pas à s'en détacher. Stupéfait, il ne bouge pas. Il ne bouge plus. La chaleur dans sa poitrine a disparu et il n'y a plus rien d'autre qu'un froid glacé, qu'une nausée violente dans ses tripes. Il y a un trou, juste là. Un trou ensanglanté.
    Encore.
    Le bruit du métal sur la pierre le reprend. Médusé, il observe le corps tomber au sol, comme si il ne parvenait pas à le saisir, à le comprendre. Ça ne pouvait pas arriver ; ce n'était pas possible, quelque part. Ça ne devait plus arriver. La scène est trop familière. Il est terrifié de déjà en connaître la fin. Son regard se relève vers la silhouette affaiblie du responsable, non loin, qui rampe à la recherche d'une autre flèche, sans succès. Ses yeux repartent vers le corps ensanglanté de son partenaire au sol. Il ne bouge pas.

    Il y a quelque chose qui se déchire dans sa poitrine, à ce moment-là.
    Le cri qui quitte sa gueule n'a rien d'humain. Autour, les murs se mettent à trembler et les vitraux se brisent, éclatent en mille morceaux. La terre gronde, les torches s'enflamment et viennent dévorer les tapisseries rougeoyantes. Son hurlement résonne entre les murs, descend les couloirs comme une déferlante ; l'onde fait chuter, on tombe, on perd l'équilibre. Les chandeliers tombent à terre dans un fracas de fer, couvrant à peine le son des miroirs brisés. La lumière envahit la pièce et semble même envahir les couloirs autour ; et si le soldat non loin d'eux bougeait encore, il n'est plus là la seconde d'après. Il ne reste plus que des cendres, lorsqu'elle s'efface peu à peu.

    Le dragon rouvre les yeux. Au sol, le corps est toujours là. Il baisse sa tête. Il croit sentir encore un peu de magie, même si elle est faible, même si elle est fluette. Même si elle semble s'atténuer de seconde en seconde.
    Je peux encore...
    Alors il essaie. S'accroupit, se fait aussi petit que possible. Ses crocs viennent saisir la flèche et la délogent d'un coup sec. Le sang coule et tâche sa gueule, mais il n'est plus à ça près et s'en fiche. Sa tête vient se poser sur la poitrine de l'altissien et il fouille, cherche au fond de lui cette magie dont il a fait bien peu usage, depuis des semaines. Il était tellement habitué à détruire qu'il en avait cessé de soigner. Mais, finalement, lorsqu'il la trouve, il plonge. Ses yeux se ferment. Il inspire et expire. La lumière brille à nouveau, mais elle est plus douce, plus chaude. Elle englobe comme une couverture, comme une barrière protectrice. La plaie est violente, profonde. La peur lui monte à la poitrine et lui serre les tripes ; elle est si virulente que ses pattes en tremblent.
    Pas assez.
    Sa magie bout. Elle pousse autant que possible, s'emmêle avec celle qu'elle tente d'appeler. La fatigue vient tirer ses muscles et percer sa poitrine, mais il serre les crocs et laisse ses griffes imprimer leur marque dans la pierre au sol. La plaie semble se refermer, millimètre après millimètre. Lentement. C'est douloureux. Il lui semble que ses membres brûlent comme si il les avait mis directement dans les flammes. Que sa tête est devenue lourde, percée de mille éclats de glace. Il reste, pourtant, même si son cœur bat à tout rompre et que sa respiration se fait haletante. C'est trop, il le sait. C'est se battre contre la nature elle-même et il ne méconnaît pas ce qui le guette.
    Si ma vie peut servir, alors...
    Ses pensées sont claires. La peur perd du terrain et il n'y a plus que cette certitude-là. Il pousse, une ultime fois. La lumière se fait si vive qu'elle brûlerait les yeux de quiconque la verrait. La plaie se referme, enfin.
    Vis pour moi.
    Son corps n'est plus qu'un amas de douleur sourde et ses pensées refluent, ralentissent. Il ne sent presque plus sa magie. Son cœur rate un battement, ses yeux se rouvrent, tournent sur eux-mêmes. Ses membres sont lourds et il ne les sent même plus. Ils rapetissent, se font plus fluets. Ses écailles disparaissent, son corps tombe sur le côté. Des bras et des jambes humaines prennent peu à peu la place de ses pattes. Ses yeux s'ouvrent brièvement mais ne voient rien. Ses pensées disparaissent. Le dragon a disparu, et à terre, il ne reste plus qu'un corps qui ne bouge plus. Un corps brûlé, marqué, à mi-chemin entre la créature et l'humain ; un visage parsemé d'écailles et là, surplombé de cornes. Une silhouette devenue immobile, comme un cadavre,  avec un léger sourire au coin des lèvres.

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