La nuit est tombée depuis un bail, laissant les étoiles prendre leurs places habituelles au-dessus d'Yggdrasil. On y voit presque comme en plein jour tant la lune brille, malgré les flambeaux allumés le long des rues pavées. Ces mêmes rues, je les connais par cœur, à force. Je les ai arpenté tant et tant de fois qu'il ne me serait nullement difficile de m'y retrouver à l'aveuglette. Avec mon grade, qui plus est, je suis plus ou moins tranquille pour mes déplacements. Je peux compter mes escapades nocturnes parmi mes rondes, si ça m'arrange. À la différence toutefois que je néglige peut-être un peu mon travail de patrouilleur de nuit (roh ça va, il se passe jamais rien de toute façon) pour profiter d'activités un peu plus intéressantes. Comme par exemple rejoindre la demeure de Natsume au moins une fois par semaine. Bon, d'accord, peut-être plusieurs fois par semaine. En même temps, il faut dire que ce n'est pas facile de retrouver une personne plus intimement quand nous appartenons à deux groupes différents. Lui Eossien, moi Altissien... C'est presque une histoire d'amour interdite. Enfin... Pas que y'ait de l'amour, mais... Mais...
Disons plutôt que ça ne va que dans un sens. Le mien. Et je devrais m'en vouloir un peu de profiter de ses contacts alors que je sais que mes sentiments ne sont pas réciproques, mais... J'aime bien trop l'affection et l'attention qu'il me donne pour lui demander d'arrêter et surtout pour ne pas me laisser aller dans ses bras quand c'est tout ce dont je rêve. Cela m'arrange bien, qu'il ait quand même voulu de moi alors qu'aucune parole n'a été prononcée ; que nous nous sommes juste rapprochés naturellement sans toutefois parler du lien qui a commencé à nous unir plus secrètement. Je n'y peux rien ; j'étais prêt à me contenter de ce que j'avais quand bien même cela voudrait dire qu'il ne ressentirait jamais la même chose. Alors que ce soit la première fois où nous nous sommes embrassés ou la première nuit que nous avons passé ensemble, je pouvais savourer son temps, son toucher... Et tout ce qu'il avait à m'offrir. Ce qu'il avait et ce qu'il a encore aujourd'hui, ce qui me pousse à faire l'aller régulièrement jusque la maison de Daichi afin de l'enlever pour le prendre avec moi. Comme je le fais ce soir.
Ma situation est loin d'être saine ou évidente, mais je m'en satisfais peut-être un peu trop. Mes pas me portent avec habitude vers cette maison, ce jardin que j'ai franchi d'autres fois auparavant et dans lequel je pénètre de nouveau. Je passe le mur de haies avec aisance, abîmant même de moins en moins cette dernière quand je saute par-dessus. Je sais combien de temps mon petit jardinier met pour s'en occuper. Le jardin de Daichi, grâce à lui, est d'ailleurs empli de beauté. Les fleurs y sont bien traitées et regorgent de couleurs chatoyantes pour les yeux. Si je fais honneur aux soins qui leur sont apportées, je ne m'y attarde toutefois pas. Ce n'est pas pour ça que je suis venu.
Le plus discrètement possible, je me faufile pour contourner l'habitation et arrive au niveau de la fenêtre de Natsume. Heureusement que sa chambre est au rez-de-chaussée...
« Salut, beau brun. »
Je m'appuie contre le rebord de sa fenêtre en souriant d'un air dragueur pour le saluer, m'en voulant presque de le déranger en pleine lecture d'un quelconque livre.