« V-votre altesse... ! Votre altesse, il... ! »
Le dos poussé dans ma chaise, j'interromps mes paroles alors que je peux sentir des bruits de pas claquer dans le couloir menant à mon salon. Par réflexe, mon échine se redresse tout droit et épaules se tendent d'un coup net, la prise de mes doigts se crispant sur la tasse que j'allais porter à mes lèvres. Le lierre sur mes poignets remontent sur mes mains comme pour se préparer à surgit ; à côté de moi, mon amie aux cheveux noirs a déjà porté sa main à sa dague, alors même que la silhouette aux cheveux de neige entre avec fracas, éloignement vivement les portes de soi dans un bruit sourd.
Iel est essoufflé.e, comme s'iel avait couru chaque étage du château et chaque marche de chaque escalier pour nous trouver. Pourtant, toutefois, son visage est livide, blanc comme sa chevelure courte qui s'étale sur son visage sans le moindre soin. Son regard est paniqué. Lorsqu'iel le relève vers moi, je peux sentir mon cœur rater un battement.
« Votre altesse, c'est... C-c'est votre père, il est... ! »
Je n'avais pas besoin d'en entendre plus. Sur l'instant, ma prise s'était tant refermée sur la tasse entre mes doigts qu'elle avait craqué ; le lierre s'était resserré jusqu'à éclater son contenu bouillant et ses morceaux entre mes doigts. Je n'avais pas cillé. Mes yeux étaient restés plantés sur le corps que je ne distinguais plus qu'à moitié, maintenant, et dont les lèvres bougeaient pour m'annoncer une nouvelle que je n'entendis pas, des acouphènes bloquant mon ouïe. Mais je le savais déjà. J'avais déjà compris, et mon sang s'était glacé d'un coup net. Mon regard s'était écarquillé. À côté de moi, mon amie avait retourné sa tête vers moi comme pour s'enquérir de mon état, mais je n'avais pas bougé.
Au lieu de ça, il n'y avait qu'une lueur horrifiée dans mon regard. Pas de peine, pourtant. Pas la moindre. Pas de regret. Pas de peur. Pas de déception. Non, rien de tout ça. Une seule pensée envahissait mon esprit, comme un bourdonnement sourd alors que tout semblait trembler autour de moi.
Trop tôt. Bien trop tôt.
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« Je vous le dis, c'est de l'inconscience ! »
Livie s'agite depuis que nous sommes arrivés. Iel est tendu. Son regard passe d'une silhouette à l'autre, sa main est crispée autour de son arme et je peux sentir sa voix faire d'irrégulières montées et redescentes. De mon côté, mon regard ne quitte pas les quelques parchemins que j'ai pu emmener, comme si lae chevalier.e n'était pas en proie à des craintes tout à fait justifiées.
« Vous voulez vraiment négocier avec le meurtrier de votre père... ? Vous vous rendez compte du... ! »
Son inquiétude est palpable. Déjà la semaine dernière, iel avait souhaité venir en avance pour s'assurer qu'il n'y aurait pas de risque que le château choisi pour accueillir la réception soit parsemé de risques en tous genres. Même si je lui avais assuré que la qualité de territoire neutre devrait au moins nous épargner ça, iel avait préféré s'en rendre compte par iel-même. Mais aussi agaçants que soient ses complaintes, je ne peux toutefois pas me résoudre à lui faire des reproches. C'est donc avec une voix ferme mais plate, sans animosité, que je prends la parole.
« Livie. »
Iel s'arrête tout net. Je n'ai pas le temps de lae rassurer éternellement, mais je peux au moins faire en sorte qu'iel cesse de s'agiter ainsi. Redressant le haut de mes robes pour qu'elles collent bien à mes épaules, je porte vers ce.tte dernier.e un regard calme et inflexible.
« Je comprends tes craintes, mais j'ai pris mes précautions. Ma sœur est sur leurs terres, et nous avons également une garantie si jamais quoi que ce soit arrive, à moi comme à vous. »
En même temps, Livie n'est pas lae seul.e à avoir émis des réserves sur cette négociation. Déjà à la capitale, on s'était indigné qu'au lieu de chercher vengeance, je propose plutôt une rencontre diplomatique. Quatre mois à peine s'étaient écoulés : pour une certaine portion des hautes sphères, la plaie était encore fraîche. J'avais dû, malheureusement, faire passer cette décision par la manière forte ; j'aurais aimé ne pas avoir à utiliser de ce genre de pouvoir si tôt dans mon règne, mais la situation me l'obligeait.
Il est sûr que d'outrepasser l'avis du conseil me coûterait un certain temps passé à récupérer l'allégeance de certains de ses membres, mais... De toute façon, je ne partais pas gagnant. La mort de mon géniteur était arrivée bien trop tôt. Bien plus tôt que ce que j'aurais cru ; vu l'âge précoce où il m'avait eu, j'aurais cru que j'avais encore, au bas mot, une dizaine d'années devant moi. Mais non. Sa soif de sang l'aura précipité vers sa perte encore plus rapidement. Je n'ai, au final, pas eu le temps de réunir et d'assembler tous les soutiens qu'il me faudrait une fois sur le règne ; alors au final, je dois composer avec un paquet de cartes à moitié plein. Pas impossible, mais lorsque l'on part avec un handicap comme le mien...
Si ils se taisent depuis que je suis monté sur le trône, je sais très bien que ma nature de nymphe déplaît fortement, que ce soit à l'église ou aux plus fervents partisans conservateurs, encore très puissants le royaume. J'espérais obtenir de quoi pouvoir les contrer, ou au moins les affaiblir, mais.. Mais non. Alors il faudra jouer de manière bien plus pointilleuse que prévu.
« Par ailleurs... À ce stade, il s'agit de la meilleure chose à faire. »
Dans un soupir, je jette un coup d'oeil à ma droite. Le noiraud à ma suite me guette d'un air résolu, hochant de la tête comme pour m'indiquer qu'il a bien fait ce que je lui avais demandé. Je me doute pourtant à quel point il doit être difficile pour Clive de revoir son frère dans ces circonstances ; mais j'avais besoin qu'il s'assure que nous pourrions ne pas être dérangés.
« … Si nous voulons la paix, il faut la faire advenir. Et je me fiche bien de quelle main il faut serrer pour cela. »
La résolution dans ma voix sonne comme une sentence ; et c'en est une. Je sens lae blanc.he se calmer, même si son regard trahit tout de même son incertitude. Aujourd'hui, je dois placer une première pierre. Peu importe qui j'ai en face de moi.