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  • Les rois mages
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    Le dragon protecteur d'Yggdrasil s'est réveillé. Au milieu du mariage de Gaston et Camélia, souverains d'Altissia et Caldissia, la statue figée depuis un millénaire a quitté son socle pour arpenter le ciel de la cité. De son rugissement puissant, il a fait appel à des monstres sauvages pour encercler Yggdrasil, rendant les entrées et sorties en son sein impossibles. Progressivement, les vivres viennent à manquer et les stocks se vident sans pouvoir se remplir...
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    Il est rare, pourtant, que je divague autant au moment d'un conseil. On nous avait pourtant parlé d'une réunion importante. Je ne vais pas dire que ça ne m'est jamais arrivé de regarder un peu ailleurs à mes débuts de règne lorsque je pensais que je n'étais pas à ma place auprès des conseillers, mais ce n'était jamais à ce point. J'ai néanmoins, pour une fois, toutes les difficultés du monde à me concentrer sur le point du jour ; j'en ai oublié lequel c'était. Mes yeux sont posés sur la silhouette du monarque à côté de moi qui se tient de manière bien plus honorable alors que je ne dois pas avoir l'air très fin, à le fixer ainsi. Ou plutôt à le dévorer du regard. Je me suis mis à le considérer d'une manière un petit peu différente, depuis quelques temps.

    « Majesté ?.. »

    Cela peut paraître surprenant mais j'ai finalement découvert chez le Shimomura de formidables côtés. Le mensonge que je devais faire croire à tout le monde est devenu prophétique ; et si je devais faire semblant de l'aimer, apprendre à le connaître m'a permis de réellement en tomber amoureux et j'ai appris -pour mon plus grand bonheur- que c'était réciproque. Quand est-ce que ce genre de choses arrivent ? Jamais. Même pas dans les contes. Je ne savais pas qui je devais remercier pour un pareil coup du sort mais on ne pouvait avoir aussi grande chance que moi.

    « Majesté !.. »

    J'en suis venu à l'examiner en détails, à voir des choses que je ne remarquais pas avant. La brillance de ses cheveux, la couleur de sa peau, l'éclat de ses yeux...

    « AHEUM.
    - AH ! »

    J'ai peut-être un peu trop sursauté. En bondissant de ma chaise, mon genou s'est cogné à la table et l'a légèrement fait bouger, faisant rouler les parchemins qui se trouvaient dessus. En frottant la zone un peu endolorie, j'esquisse un sourire factice vers les personnes qui m'ont interpellé.

    « Euhm... Je... De quoi parlions-nous ? »

    L'un des serviteurs de Natsume lève les yeux au ciel, blasé sans doute par tout ceci.

    « Des chiards. »

    Je cligne des yeux, confus. L'un des conseillers fustige Alois avant de s'éclaircir la gorge pour se tourner vers moi.

    « Hmm... D'héritier, Sire. Nous voulions nous entretenir avec Vos Majestés à ce propos. »

    Oh non.
    Gêné, mes joues ont pris une belle teinte rouge. Je n'ose même plus me tourner vers l'autre concerné.

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    Les conseils se suivent et se ressemblent. J'ai fini par m'y habituer, quand bien même il ne fut au départ pas simple de faire s'asseoir à la même table les dignitaires de nos deux royaumes ; il y eut quelques encriers qui volèrent, au départ, je dois bien l'admettre. Je n'irais pas dire qu'ils iraient s'embrasser non plus maintenant, mais au moins, les animosités sont plus ou moins bien cachées, ce qui est un progrès non notable. J'imagine que même si ils ne croyaient pas ou n'approuvaient pas nécessairement le mariage qui les a mené à s'asseoir à la même table, cela a eu l'effet escompté.
    Il est plus difficile, ces temps-ci, toutefois, de se concentrer pleinement lors des conseils. Je le sais. Il était plus simple de croiser le regard de Samaël en conseil lorsque nous étions « juste » des époux ; ou du moins, lorsque notre lien n'était au mieux qu'amical, au pire juridique. L'évolution de ce dernier m'a rendu... Disons que je suis bien plus distrait. J'évite de le regarder pour que nos regards ne restent pas liés trop longtemps, que mon expression ne s'adoucisse pas sans que je ne le contrôle ou que la chaleur réconfortante dans mon ventre ne vienne pas rougir mes joues et que je me ridiculise devant tout le monde. Cela donne parfois lieu à des scènes ridicules, ou je lui parle en choisissant plutôt de fixer le mur, ou lorsque...
    Ou lorsque nos conseillers ont décidé d'être bien agaçants.

    J'ai bien du mal à rire de sa distraction, pour le coup. Principalement car je me suis crispé depuis qu'un certain sujet a été mis au goût du jour ; et je tapote des doigts sur la table avec agacement lorsqu'il est à nouveau évoqué. Je ne remarque même pas d'où vient la prochaine remarque, exprimée avec, il faut l'admettre, une tentative de délicatesse.

    « Comprenez, il s'est passé plus d'un an depuis votre union, et... Enfin, le peuple se demande quand la succession sera assurée. »

    Le peuple, oui... C'est cela, je connais cette théorie.
    Inutile d'évoquer l'évidence, mais les nobles ont également leur intérêt ; pour eux, cela signifierait qu'ils pourraient également s'allier durablement avec des maisons de l'autre royaume, tout en écartant la possibilité d'une guerre de succession. Ce qui veut dire la stabilité économique, et autres choses encore. Mais si la partie de moi qui comprend l'objectif politique voit cela comme une attente plus ou moins prévisible, l'autre partie de moi est particulièrement mal à l'aise. Mes muscles sont tendus. La gène ne me fait pas rougir, mais elle me garde silencieux sur le moment.

    « Si encore il y a avait vent d'une grossesse, enfin... Mais enfin, il... Il y a quelques... Inquiétudes, disons. »

    Au vu du regard fuyant du conseiller, je n'ai pas vraiment besoin d'en demander davantage sur la nature de ces « inquiétudes » ; j'ai eu l'occasion d'entendre ces dernières être rapportées, vu la vitesse à laquelle vont les rumeurs de cour. Mais je n'ai pas envie de les entendre ici : je suis bien assez gêné comme ça, comme le prouve la manière dont mes mains liées sont tendues. Si je reprends la parole d'une voix neutre, je ne prends presque pas la peine de cacher mon sarcasme.

    « Et vous aviez quelque conseil à donner, j'imagine ? Je vous écoute. »

    La provocation n'est pas vraiment de mon genre, puisque j'ai tendance à rester calme même lorsque j'aurai mes raisons de ne pas l'être, mais la gène et l'embarras ont parlé pour moi. Mes joues légèrement rosies aussi. Ce n'est pas un sujet que j'aurais aimé voir posé à la la table publique, comprenez ; déjà que nous ne l'abordons pas entre nous...

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    Un an déjà... Ou plutôt un an seulement. C'est passé si vite, mais on s'attend maintenant à ce qu'un nouvel héritier vienne au monde. Sont-ils si impatients ? Je n'avais plus ressenti une telle hâte émanant du peuple depuis que l'on me pressait à l'époque de me marier ; ce que j'ai fini par faire. Mais concevoir un enfant est une question bien plus délicate qui ne concerne pas que moi. Je ne peux pas imposer ça à Natsume, même si on pourra dire que c'est dans mes devoirs. J'étais déjà étonné d'apprendre par les rumeurs que l'on en vienne à s'inquiéter. Tout de même, nous nous sommes mariés il n'y a pas si longtemps, ce n'est quand même pas si grave !.. Nous n'avions même pas encore abordé le sujet ; et pour être honnête, je l'avais carrément oublié. Je me disais que mon union avec le royaume Shimomura suffirait à faire taire les gêneurs, mais je crois qu'on est pas au bout de nos peines, en fin de compte. Et je sens que Natsume n'est pas vraiment ravi non plus que l'on nous parle de ça. Je ne sais même pas s'il en veut, des enfants...
    Est-ce que nous avons seulement le choix ?..

    « Ahem. Je crois que nous n'avons pas besoin de vous faire un dessin... »

    L'ambiance est un peu étrange dans la salle. Sans surprise, je ne me sens pas tout à fait à l'aise, au milieu de tous ces regards posés sur nous. La couronne a un poids bien lourd, décidément. Mes doigts tapotent nerveusement sur la table.

    « Je... C'est une question que nous pourrons régler en temps et en heure, vous ne croyez pas ?.. On a qu'à... euh... simuler une grossesse pour le moment. Cela devrait calmer le 'peuple', non ? »

    Ou pas...
    Il y a quelques mois, je les aurais sans doute envoyé balader sans autre forme de procès. Mes sentiments nouveaux pour Natsume m'ont ramolli, semblerait-il. Car il n'est pas faux que, si la question ne s'est pas posée foncièrement entre nous, ça ne veut pas dire que je ne l'avais pas imaginé. La perspective d'avoir un jour des enfants avec lui ne m'était plus apparu si absurde, d'un coup. Mais je ne sais pas si j'ai envie d'en faire dans ce contexte, actuellement. Je ne veux pas qu'ils servent un rôle ou une obligation.

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    Mon regard se fait plus dur face à la réponse qui nous est envoyée. Je ne suis pas de bonne humeur. Il est évident que je n'apprécie pas particulièrement que l'on me pousse à... Enfin, vous avez compris. Si j'ai toujours su que je n'échapperais pas à ça, cela ne veut pas dire que j'apprécie que l'on me presse ou que l'on me fasse des remarques à ce propos. J'apprécie au moins de voir que Samaël semble tout aussi mal à l'aise que moi, car j'y vois un allié non négligeable dans cette tension sous-jacente.
    Simuler... Je ne suis pas sûr que ce serait suffisant.
    Ce n'est pas une mauvaise idée en soi, mais je crains que cela ne se retourne contre nous. Si nous simulons une fausse grossesse, il faudra simuler une fausse couche ; et là, d'une part les conséquences seront politiques, et d'autre part, la pression ne se fera que plus grande encore. Mais il ne faut surtout pas que les gens comprennent que, enfin...

    « Qui vous dit que nous n'essayons pas ? »

    Je reprends la parole d'un ton calme, mais que je teinte volontairement d'un agacement indigné, comme si j'étais véritablement brusqué par le fait que l'on sous-entende que ce ne soit pas le cas. Si ils veulent nous embarrasser et nous mettre devant le fait accompli, je peux faire la même chose.

    « Voulez-vous que nous tenions un journal de bord ? Peut-être qu'une vérification  plus poussée suffira à vous rassura. Quelqu'un veut se porter témoin... ? »

    La menace sous-jacente dans ma voix est à peine dissimulée. Ce n'est pas de mon genre, d'ordinaire, mais j'estime être dans mon droit. Nous mettre dans une situation pareille et nous traiter comme des bouts de viande... Je sais ce que j'ai à faire. Cela ne veut pas dire que j'accepte que l'on me l'impose. Si cela arrive, je veux que cela se fasse sous mes conditions. Je suis, ironiquement, plus agacé que si je n'avais pas développé de sentiments pour mon conjoint ; principalement car je me sens insulté pour lui aussi.

    « Vos... Préoccupations ont bien été entendues. Maintenant, je crois qu'il y autres problématiques plus urgentes à traiter : qu'en est-il du traité du commerce du sel ? »

    Mon ton est sec. Je remets volontairement sur la table un des sujets les plus pénibles du moment pour absorber toute tentative d'objection et rappeler, même implicitement, notre autorité sur les sujets à aborder. Ce n'est pas un comportement très... Démocratique, si je puis dire, mais ma patience est arrivée à bout.

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    Alors que quelques murmures se sont élevés, Natsume les fait taire d'une parole. J'écarquille les yeux avant de rougir. Même si je sais qu'il s'agit d'un mensonge, je ne peux m'empêcher de baisser le regard, muet, laissant mon imagination travailler un peu. Dans le fond, j'entends Alois qui s'étouffe avec sa salive et s'est mis à tousser. Non, bien sûr, nous ne nous sommes pas (encore) approchés de cette façon, mais... Mais l'idée n'est pas déplaisante. Au moins, cela a le mérite de calmer les ardeurs dans la salle, alors qu'il continue sur le ton de la provocation. Quelqu'un lève déjà la main pour se porter volontaire afin d'être 'témoin' mais son camarade le lui baisse aussitôt. Je ne peux m'empêcher d'émettre un gloussement que je dissimule derrière ma main. Je souhaite que les mots acérés de Natsume aient été suffisants pour leur clouer le bec, mais je n'espère pas trop, même si sa tentative partait bien.

    « Eh bien... Euh... Le royaume de l'est a bien voulu signer à condition que-...
    - Majesté, s'il vous plaît, n'en profitez pas pour changer de sujet. »

    Il y a pourtant encore et toujours des entêtés qui ne veulent pas lâcher l'affaire, à notre grand désespoir.

    « Justement, à propos des commerces... Vous savez que sans un héritier en vue, on risque de nous croire en situation de faiblesse. »

    J'ignore, à force, s'ils parlent sérieusement ou s'ils sont juste intéressés par nos vies intimes. Je sais que nous ne devons pas dire ça devant nos conseillers, mais j'ai parfois quelques doutes à ce sujet, vu leur insistance.

    « Si l'avenir de la couronne n'est pas assuré, les pays voisins ne verront pas d'avantages à nous faire confiance et à continuer les échanges avec nous. Pire, même, ils pourraient en profiter pour nous faire la guerre ! »

    Je serre les dents, trouvant tout cela ridicule. Je pense que nos armées sont assez fortes pour envoyer bouler ceux qui se trouveraient assez téméraires et stupides pour tenter de nous envahir. Moi, en tout cas, je n'ai pas peur. C'est aussi pour ça que nous avons organisé ce mariage, après tout, pour augmenter nos forces. Je doute en réalité que quelqu'un oserait nous attaquer, depuis notre alliance.

    « Oui... D'autant plus qu'on ne sait pas ce qui se passerait s'il vous arrivait malheur. »

    Je suppose que depuis le début c'était ça, qui nous attendait : la naissance d'un enfant qui viendrait sceller l'union de nos royaumes ; car il y a sans doute encore des gens qui n'y croient pas, à l'instar peut-être des personnes qui se trouvent dans cette pièce et qui semblent bien plus inquiets que nous le sommes. Même si je suis moins convaincant que mon homologue, je tente de faire bonne figure, affichant une expression plus sévère.

    « Nous faisons de notre mieux. Nous ne pouvons pas produire de miracle, non plus. »

    Natsume a soulevé des points qui pour moi étaient irréfutables, mais ils trouvent toujours quelque chose à redire à nos arguments.

    « Et un médecin ? Est-ce que vous en avez consulté un ? »

    Je me retiens de passer ma main sur le visage, manquant de grogner. Je dois me retenir de taper du poing sur la table, mais c'est sans doute ce qui risque d'arriver s'ils continuent de creuser dans cette direction.

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    J'espérais mettre un terme à cette discussion, mais il faut croire qu'ils ont pris en confiance, à force que nous nous montrions patient. Ou du moins, c'est l'analyse que j'en fais sur l'instant, agacé d'être ainsi interrompu alors que je pensais que c'était terminé pour le moment. Mon regard se fait dur en même temps que des belladones se mettent à éclore dans mes cheveux ; leurs jérémiades commencent à me courir sur le haricot. Quand bien même nous serions vraiment en train d'essayer d'avoir des enfants, je ne vois pas en quoi se mettre à geindre comme des enfants capricieux changerait quelque chose. Et leur dernière remarque me fait me tendre d'un coup net.

    « Il suffit. »

    Cette fois-ci, c'est moi, qui perd définitivement patience. Une liane claque violemment sur la table, tandis que des ronces se mettent à pousser sur mon fauteuil. Mon regard, devenu froid et mordant, parcoure la salle alors que ma voix s'est faite incisive.

    « Le médecin royal est la seule personne à pouvoir se prononcer là-dessus. Vous n'avez aucune compétence, ni prérogative à connaître ces informations. »

    Mon exaspération est à son pic. Je ne suis pas du genre à taper du poing sur la table (ou du moins, de la liane), mais l'arrogance de nos interlocuteurs combinée à l'embarras que provoque ce sujet ainsi abordé en public chez moi m'a poussé à bout.

    « Maintenant, le sujet est clos. Le prochain qui aurait des angoisses existentielles à évoquer pourra le faire dans l'intimité de sa propre demeure. »

    Autrement dit, « taisez-vous ou l'on vous conduira vers la sortie », même si je me montre plus diplomate. Cette fois-ci, je n'attends pas de réponse, puisqu'une de mes lianes glisse jusqu'à ouvrir la porte en grand, comme pour signifier qu'il ne me dérangerait pas de les faire sortir en vitesse.

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    Je n'ai pas envie de m'emporter en présence de Natsume mais ce n'est pas l'envie qui m'en manque. De quoi ils se mêlent, après tout ? C'est notre vie, que je sache, pas la leur. Même si être roi n'empêche pas que l'on voit sa vie être déchirée à coups de rumeurs, ce n'est pas une raison pour me laisser faire. Intérieurement, je grogne, serrant le pommeau de mon épée sous la table. Heureusement, à mon grand soulagement, je n'aurai pas à m'emporter auprès de ceux qui nous entourent. Mon 'époux' le fait pour moi et parvient à faire taire définitivement les curieux qui ne s'attendaient probablement pas à ce que la magie du concerné parle aussi pour lui. Je dois dire que ça fait son petit effet, il est vrai. En tout cas, plus personne n'osa contredire ses dernières paroles et le sujet fut vraiment clos pour le restant de la réunion. Pour une fois, j'étais bien content de parler économie.

    C'est donc avec bonheur que j'accueille l'air du soir une fois que nous avons réellement terminé. Les conseillers ne se sont pas trop fait prier pour nous laisser seul à seul avec Natsume, croyant peut-être que nous allions réfléchir sérieusement à ce qu'ils avaient laissé sous-entendre. Pour leur grand désespoir, je ne compte pas revenir sur ce qui a déjà été dit. Si nous avons des enfants, je ne veux pas que ça soit dans une situation forcée. Considérer ce mariage au départ fut déjà bien assez difficile. Je pensais que nous aurions un peu de répit, avant que l'on nous parle de la suite.
    Au moins, le jardin de son château a de quoi nous changer les idées. De belles fleurs laissent échapper leurs pétales au vent dont je suis la course du regard d'un air distrait, oubliant temporairement nos tracas. Mais les mots restent tout de même frais et je ne peux pas les enlever tout de suite de mes pensées.

    « Je crois que je vais prétexter être malade, la prochaine fois. C'est pas un gamin que je vais avoir dans le ventre, mais plutôt une constipation, avec leurs bêtises. »

    Pas comme si je pouvais tomber enceinte, de toute façon, mais ils donnent pas envie de l'être, ces fouineurs.

    « Est-ce que je leur demande comment ça se passe dans leur chambre à coucher ?! Je ne crois pas, non ! »

    Pffrt... Si ça n'avait tenu qu'à moi, j'aurais fini par détruire la table de réunion. Mais devant Natsume, je ne savais pas trop comment me tenir. Je ne voulais pas non plus l'embarrasser ou le mettre dans une position fâcheuse ; alors que la vérité, c'est que ça l'a rendu tout aussi dingue que moi, cette histoire.

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    Assis sur l'herbe, je passe mes doigts sur une des branches du rosier enfoncées dans la terre. Les pétales s'éclaircissent et se redressent légèrement, tandis que les pucerons descendent pour fuir, poussés par le léger souffle de ma magie. Les jardins me font du bien, après une journée pareille. Dans ce château, c'est celui que je favorise, sans surprise. Mais il fallait ça, pour que je calme mon énervement et l'envie d'étrangler nos conseillers avec mes lianes. Je souffle un coup avant d'esquisser un sourire face à son commentaire, même si il n'est pas très spirituel en soi. Quelque part, le fait de ne pas être seul contre ça m'aide un peu. Je me sens moins... Caractériel, disons. Cela me permet d'accepter que ma frustration est légitime. Sur ce genre de points, j'aurais pu avoir tendance à croire que je faisais un caprice. Ce n'est pas désagréable, d'avoir un allié.

    « Je ne suis pas sûr qu'ils aient grand chose à raconter, de toute façon. »

    Je glousse d'un air à moitié désabusé, moitié narquois. Pas comme si je pouvais dire le contraire non plus de mon côté, mais cette moquerie me fait du bien, aussi stupide et puérile qu'elle soit. Je le suis davantage depuis que je le connais ; ou du moins, je me permets davantage de l'être. Mais... Cela ne veut pas dire que je pense forcément avoir eu raison tout à l'heure, même si cela m'a fait du bien. Dans un soupir, je finis par reprendre la parole.

    « … Je suis désolé, en vrai. J'aurais dû rester calme, mais je commençais à en avoir marre. »

    Blasé par moi-même, je dois avouer ne pas être très fier, maintenant que j'y repense. J'aurais dû être plus calme. Ne pas perdre patience. Imposer la fin de la discussion de manière concise et ferme, sans que ma magie et que mes émotions ne s'en mêlent ; je sais déjà ce qu'ont dit sur les nymphes trop 'émotionnelles', alors je suppose que ça n'arrangera rien..

    « C'était juste... Insupportable, au bout d'un moment. »

    Les roses sur le jardin retombent brièvement lorsque je l'évoque, avant que je me ressaisisse pour couper une partie qui était morte depuis un moment.
    .

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    La pression retombe, mais je suis toujours frustré de ne pas m'être davantage exprimé sur la question, alors que j'aurais pu me défendre comme un grand. Au lieu de ça, j'ai détourné le sujet en proposant des solutions bancales pour tenter de les rassurer temporairement sans que l'on ait besoin d'user de sévérité. Malgré ce qu'il en dit, je suis plutôt content que Natsume ait exprimé ce qu'il ressentait.

    « Si tu ne t'étais pas emporté, c'est moi qui aurai fini par le faire. »

    Même si nous devons montrer l'exemple, ce n'est pas une raison pour que l'on insinue des choses sur notre vie privée, quand bien même elle concerne indirectement l'avenir de nos royaumes.

    « Ils se mêlent de ce qui ne les regarde pas sans prendre en considération nos sentiments. »

    Comme si nous n'étions pas humains, nous aussi, en dépit des couronnes que nous portons et des pouvoirs que nous avons. Nous ne sommes pas juste des titres dont on peut abuser sans conséquences derrière. Qu'ils ne s'étonnent pas que nous finissions par exploser à force de jouer avec nos nerfs.

    « C'est facile à dire, pour eux, ils ne sont pas obligés de faire des gamins. »

    Un soupire m'échappe, emporté par un vent léger dont j'envie la liberté. Je m'assois près de Natsume sur l'herbe tendre.

    « Nous non plus, tu me diras. En tout cas, je n'ai pas envie de me dire que j'en aurais fait pour calmer leurs angoisses. »

    Ou curiosité malsaine, devrais-je plutôt dire. J'ai été d'accord pour me marier afin d'établir une paix, pas de devenir un jouet entre leurs mains.

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    Même si j'ai un rapport ambigu à son côté plus sanguin, quand bien même il tend à mesurer depuis que nous nous sommes rencontrés, que son emportement résonne avec le mien ne m'est pas désagréable. Je me sens moins excessif, moins « inutilement » sensible. Alors je sens mes épaules se détendre un peu lorsqu'il explique en quoi toute cette affaire le frustre et l'agace. Mon regard s'adoucit. Je le fixe avec un mélange d'admiration et de tendresse, esquissant un demi-sourire lorsqu'il s’assoit à côté de moi en soupirant.

    « C'est... Ce que je pense aussi. »

    Je me sens plus léger. L'anxiété reflue pour laisser place à du soulagement, même si c'est un peu stupide ; je connaissais la position de mon compagnon sur le sujet, ne serait-ce qu'inconsciemment. Je savais qu'il n'était pas du genre à envisager sérieusement cette hypothèse, mais l'entendre de sa bouche est un soulagement non négligeable. Une boule d'affection s'agite dans ma poitrine et la réchauffe avec douceur. Mon regard se reporte brièvement sur le rosier qui semble maintenant en bien meilleure forme.

    « Ce n'est pas que je suis contre l'idée d'avoir des enfants, et je sais que... Il faudra y penser, mais... Pas dans ces conditions. »

    D'un hochement négatif de la tête, je chasse de ma tête l'image de ma mère qui a dû m'avoir bien peu de temps après la naissance de ma sœur à un âge trop jeune, principalement du fait de sa position. Je sais qu'elle m'a aimé ; mais je suis persuadé que ce n'était pas une bonne chose. Mon expression se refait un peu plus bougonne alors que je grommelle.

    « Mais la prochaine fois, je les attache et je les jette dans les escaliers. »

    Et je suis sérieux. Ou du moins, je les attacherai et je les jetterai par la porte. Tant pis pour l'image : au moins, cela fera un exemple. Je remets ma tête dans mes bras, l'air plus pensif, avant de la détourner légèrement pour ne pas croiser son regard pendant que mes joues rougissent.

    « Mais... Cela me fait plaisir, de t'entendre dire ça, même si je n'en doutais pas. »

    C'est sûrement stupide, mais cela me fait du bien de le dire.

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    C'est au moins rassurant de savoir qu'il pense la même chose que moi. Sur ce point, nous arrivons à nous entendre ; tant mieux. Cela aurait été compliqué de ne pas partager les mêmes idées à ce sujet, et encore plus depuis que j'ai appris à le connaître. Nous pouvons au moins compter l'un sur l'autre, et c'est très précieux, par ces périodes où j'ai l'impression qu'il n'y a que nous-mêmes pour nous défendre. Et même si c'est mesquin, je glousse en imaginant les conseillers se faire saucissonner, à force d'avoir mis leur grain de sel là où il ne fallait pas. Je donnerais cher pour voir ça, à vrai dire. Mais il y a quelque chose dans la douceur de sa voix qui me fait chavirer. Cela tranche nettement avec la colère qui émanait de lui quelques heures plus tôt, à tel point qu'il serait difficile d'imaginer que le roi acide de tout à l'heure est le même qui parle d'un ton aussi léger désormais. Je rougis moi-même à ses mots, flatté qu'il n'ait pas douté de mes intentions.

    « Oh euh... C'est... Ah bon ?.. »

    Mes joues chauffent. Ma nervosité grimpe. Mais je sens mon cœur s'agiter. Nous sommes seuls, désormais ; du moins, normalement. Un bref regard autour de nous me permet de confirmer que nous nous trouvons plus ou moins isolés. C'est agréable ; ça fait du bien. Je n'ose pas le regarder de face, cependant. Même si la lune pâlit au-dessus de nous, je craindrais qu'il n'aperçoive la couleur de mes pommettes.

    « J'y songeais... un peu déjà avant de te connaître. »

    Je n'avais pas hâte que le devoir conjugal m'appelle alors que nous n'étions même pas encore mariés, mais je le pressentais.

    « Me marier en soit ne me dérangeait pas... C'était surtout ce que cela impliquait derrière. Savoir que je devrais me lier aussi intimement à un inconnu. »

    Un frisson dévale mon échine. Je savais qu'un jour ou l'autre, ça allait finir par suivre ; et même si les concubins étaient possibles, on viendrait nous demander des comptes quant à la légitimité de potentiels futurs marmots. Je n'avais en effet pas hâte que l'on doive aborder le sujet, mais la perspective m'était moins déroutante lorsque je pus mieux le connaître.

    « Mais... Cela ne me fait plus peur, désormais. »

    Avec douceur, je viens poser ma main sur la sienne. Non, ça ne me fait plus peur. Surtout que je sais que nous avons à peu près les mêmes idées et que nous pouvons être aussi têtus l'un que l'autre. Quelque part, ça me rassure.

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    Je me sens un peu nerveux. J'ai parfois encore un peu de mal à exprimer ce que je pense ou à dire naturellement ce que je ressens, même si j'essaie de faire mieux. L'embarras me fait tapoter nerveusement des doigts et détourner mon regard, mais j'arrive au moins à l'écouter sans plonger ma tête sous le sol. Sur ce point, je dois admettre avoir eu les mêmes craintes ; ou du moins, si j'y étais résigné par dépit et par méconnaissance de mieux, cela suscitait chez moi un dégoût manifeste contre lequel je n'aurais pas su quoi faire. Mais de la même manière que lui, je suis moins... Disons que je ne suis plus vraiment révulsé. Nerveux, oui ; mais c'est très différent.
    Les joues rougies, je reste immobile sur l'instant lorsque sa main vient se poser sur la mienne. Je sens mon cœur rater un battement et me retrouve avec un air encore plus sot qu'il y a quelques secondes, flatté tout autant que rendu nerveux par ses mots.  

    « Je... Vois ce que tu veux dire. »

    Si je partage ce qu'il pense, le dire est une autre chose. Je suis toujours assez admiratif de l'aisance qu'il semble avoir, du moins à mes yeux pour qui la moindre expression est un acte incroyable, à parler de ce qu'il pense et ressent sans la moindre gêne. Ce n'est pas mon cas. J'ai tendance à passer par des voies détournées, même inconsciemment. Je veux toutefois faire un effort. Je ne peux pas lui laisser toute la charge de la tâche. Je ne bouge pas ma main, même si mes joues continuent de prendre des couleurs.

    « … Je m'y étais résigné, même si l'idée me dégoûtait. Je m'étais dit que si mon père était encore en vie, cela aurait été bien pire. »

    Mes épaules se crispent un peu en y pensant. Je savais que le projet était en préparation ; j'avais, après tout, passé un âge « suffisant » et mon géniteur appréciait l'idée d'obtenir des héritiers directs qu'il pourrait plus facilement modeler à sa guise. Je ne sais pas ce qui me serait arrivé après. Je repoussais l'échéance comme je le pouvais, mais je savais que c'était inévitable. Alors lorsque je me suis finalement marié dans d'autres circonstances, j'ai considéré qu'à défaut, c'était une situation moins 'pire' que ce qui aurait pu être. Je ne peux plus dire la même chose maintenant. Avec hésitation, je finis par tourner un peu la tête pour croiser son regard. Inconsciemment, j'esquisse un sourire timide.

    « Maintenant... C'est différent. Ce n'est plus par résignation. »

    Je me sens un peu plus à l'aise. Même si ce n'est pas un sujet simple pour moi (ni pour les autres, j'imagine), ce n'est pas désagréable en soi, d'être un peu honnête sur ces sujets. Les bourgeons sur ma tête prennent la forme de petites violettes.

    « J'ai eu beaucoup de chance, tout compte fait. »

    C'est la constatation à laquelle je suis arrivé. En même temps, cela n'arrive jamais, qu'un mariage arrangé débouche sur une pareille situation ; c'est davantage une histoire de contes qu'autre chose. Donc quand je fais le point, je suis plutôt satisfait de la manière dont les choses ont évolué.

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    Je suis vraiment heureux et soulagé de savoir que nous partageons le même point de vue sur ce genre de choses. Ce n'est pas un sujet où nous nous sommes beaucoup exprimés jusqu'alors. Je crois que lui et moi repoussions sans doute un peu l'échéance également, même si cela nous force aujourd'hui à savoir ce que l'autre ressent. Sa main est chaude contre la mienne. Je peux la laisser comme ça encore un peu.
    Brr... A chaque fois que l'on évoque Kazuo de toute façon, ça ne peut pas être pour une bonne chose.
    Non content que Natsume soit débarrassé de son géniteur, je n'ose pas imaginer la pression que ce dernier lui mettait lorsqu'il était encore en vie. Je trouve qu'une union forcée n'est déjà pas jojo... Je ne sais pas ce qui aurait pu être pire sous le règne de l'ancien roi Shimomura. Je ne vais pas le blâmer pour le dégoût que cela lui a inspiré, toutefois. Moi non plus je n'avais pas vraiment hâte que ça arrive ; mais je savais qu'une chose allait entraîner l'autre.
    Timidement, je relève le regard vers lui, un léger sourire au visage. Cela me flatte de savoir que... cela lui ferait éventuellement plaisir d'avoir des enfants avec moi ; car c'est bien l'implicite depuis tout à l'heure. Que la perspective que nous fondions une famille... est bien moins horrible depuis quelques semaines. Et que la raison n'est pas bien difficile à comprendre.

    « Beaucoup... de chance ?.. »

    Je rougis de plus belle, gêné qu'il me voit comme une 'chance'. C'est moi, en réalité, qui ai eu de la chance.

    « Oh... Je ne sais pas si je suis une chance... »

    Je le trouve... extraordinaire. Il a des tas de qualités dont quelqu'un d'autre aurait pu profiter, mais c'est moi qu'il a choisi pour ouvrir son cœur. Et j'en suis très honoré, à présent, même si je pense même que je ne le mérite pas. Je ne regrette plus tellement d'avoir fait tout le voyage jusqu'à son château pour lui proposer cette alliance, même si les conditions étaient loin de m'enchanter d'abord.

    « Qui sait... Peut-être que si nous nous étions connus dans des situations différentes, cela n'aurait pas été un mariage si arrangé... »

    Pensif, je laisse mon imagination vagabonder. S'il en avait été autrement, nous aurions sans doute pu être amis depuis longtemps. Je n'étais pas sans savoir que mes parents, à défaut d'apprécier la reine, ne supportaient pas le roi ; alors si ce dernier n'avait pas été là, je me demande... Nous nous serions rencontrés plus tôt ; bien plus tôt.

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    Je mentirais si je disais que je ne trouvais pas ça flatteur, de le voir rougir et devenir hésitant de cette manière. Alors lorsque je le vois devenir penaud, j'esquisse un demi-sourire attendri, ne me retenant pas de serrer ma main dans la sienne comme dans une tentative de le rassurer. Bien sûr que si, qu'il est une chance. Même si je ne l'ai pas vu comme ça au départ ; je le voyais plutôt comme un princelet arrogant et impétueux, qui n'avait rien à faire des conséquences de ses actions sur les autres. C'est avec le temps et quelques événements que mon avis a commencé à changer. Mais quand il évoque ce qui aurait pu arriver si le contexte avait été autre, je hoche de la tête.

    « Je serais tombé amoureux de toi bien avant, si nous n'avions pas été rois. »

    Je lève sa main dans la mienne pour venir en embrasser le dos avec tendresse, plus tranquille et apaisé. Mais mes propos sont vrais : cela m'avait rendu plus méfiant, plus distant. Il était non seulement la personne dont je devais être le plus méfiant du fait de nos positions et de l'historique de nos familles, mais je renâclais aussi à tisser un quelconque lien avec lui du fait de notre mariage ; justement car je crois qu'au fond, je ne digérais pas cette obligation. Je ne le regardais pas comme un ami potentiel, mais uniquement comme un allié politique. Alors si nous n'avions pas été dans cette situation... Sans doute que tout cela aurait été beaucoup plus rapide.

    « Et même si nous n'avions pas été mariés, je pense. »

    Je ne suis pas foncièrement mécontent de la manière dont les choses ont évolué. J'estime que je ne peux pas me plaindre. Quand bien même nous avons le droit à quelques rumeurs et autres grommellements de la cour pour des raisons bien futiles, et je grimace un peu en y repensant. Mes joues prennent quelques couleurs pendant que, nerveusement, je me gratte le cou.

    « Je suis tout de même désolé d'avoir, hm... Menti sur nos 'essais'. J'espérais que cela leur claquerait le bec, mais j'ai visiblement été naïf. »

    Il faut dire qu'à l'époque de mon père, personne ne se serait permis de telles remarques ; ou du moins, pas après un premier avertissement. C'est le désavantage d'accorder plus de liberté et de parole, j'imagine, mais c'est un bien maigre dégât, au final. Il est juste... Compliqué d'imposer des limites, de temps à autre. Je me suis donc permis un peu de provocation, mais je ne voulais pas l'embarrasser, même si je l'ai entendu glousser et que cela m'avait rassuré.

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    Mon cœur bat chaudement dans ma poitrine, alors que la voix douce de mon partenaire résonne à mes oreilles pour me déclarer des mots tendres qui me font rougir. Je trouve qu'il me fait trop d'honneur, en me disant ça. Aurait-il vraiment eu pareils sentiments ?.. Est-ce que nous nous serions rencontrés dans de meilleures conditions ?..
    Remarque, moi aussi, je pourrais dire que je serais quand même tombé amoureux de lui.
    Maintenant que je le connais un peu mieux, c'est que ça me paraît une évidence. Dans une autre situation, il n'y aurait pas eu l'amer goût du mariage forcé qui m'empêchait ironiquement de vraiment m'impliquer dans notre fausse relation. Je m'imaginais qu'il trouverait bien son bonheur ailleurs chez quelques concubins.
    Je souris de manière affectueuse face à son geste romantique. J'ignorais auparavant qu'il pouvait faire preuve d'un tel sentimentalisme. Si nous n'avions pas été rois, déjà, je suppose que nous aurions eu davantage de libertés. Et qui sait ce qu'aurait donné notre relation si je n'avais pas fait le pas jusqu'à lui pour le demander en mariage afin d'apaiser les tensions. Notre lien se serait développé plus naturellement. De toute façon, les mariages arrangés sont toujours une mauvaise idée sur le plan émotionnel. Mais bon, il le fallait bien, à ce moment-là. Sûr que j'aurais sûrement bien plus apprécié l'idée de me marier si ce n'était pas par obligation. Il y a certaines choses que nous ne pouvons pas contrôler, malheureusement. Voilà pourquoi je glousse lorsqu'il évoque son excuse de tout à l'heure.

    « Ils sont assez têtus, il faut dire. Cela les intéresse sans doute un peu plus que ce qu'ils ne laissent paraître. »

    Cela valait au moins la peine d'essayer, mais je suis certain qu'ils sont trèèès curieux, nos conseillers. Et ça ne doit pas être les seuls. Certains habitants doivent se poser les mêmes questions qu'eux : par inquiétude pour l'avenir du royaume ou par divertissement, en fondant des rumeurs ici et là.

    « Mais c'était bien tenté. Je ne m'y étais juste pas préparé, alors j'étais un peu surpris. »

    Et c'est le cas de le dire, mais sur le moment, je dois dire que c'était une bonne idée. Je ne sais pas si j'aurais osé la soumettre comme il l'a fait. Moi aussi je pensais que ça allait calmer le jeu au moins temporairement, mais ils aiment insister, de ce que j'ai pu remarquer.
    N'empêche, ces 'essais'...

    « Cela ne me dérangerait pas de faire des essais avec toi. »

    Pensif, la remarque est partie toute seule. Quelques secondes passent où je mets un temps à comprendre pourquoi elle est gênante. Quand je me rends compte de la formule que j'ai employé, je me mets aussitôt à rougir et à bafouiller, cherchant mes mots pour qu'il ne croit pas que j'attends quelque chose de lui.

    « Euh je... Je... Je veux dire... Dans le sens où... Euh... Je ne me sens pas en-enfin plus forcé de... »

    De quoi, au juste ?
    ... De faire des 'essais', comme il dit ?..
    Je ne veux pas dire que nous devons essayer maintenant mais que... notre relation, ou plutôt le développement de notre relation, a changé la donne, finalement. Mais je ne sais pas comment l'exprimer. Gêné, je me cache une partie du visage.

    « Raah oublie ce que j'ai dit ! »

    Ce n'est pas la première fois que ça m'arrive, ce genre de bourde. Je me demande de qui j'ai hérité cette tendance à dire exactement ce qu'il ne faut pas dans les moments importants ou intimes comme celui-là.

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    Je savais que je risquais de l'embarrasser en disant cela, mais j'avais parié sur le fait qu'il valait mieux une forte gêne à un instant T qu'une gêne prolongée et interminable ; je regrettais juste un peu que cela n'ait pas fonctionné, au final. Mais si il n'était pas trop mortifié, tant mieux, et je me permets de me détendre un peu. Je me sens moins comme un goujat, si on veut. Il a vraiment l'air détendu, ce qui achève de me rassurer.
    Ah, vu que ça ne le dérangerait pas, alors il n'était vraiment pas mal à l'aise-...
    Je tique sur l'instant, clignant des yeux comme pour m'assurer que je n'ai pas mal compris ni entendu. Je crois au départ que c'est le cas.
    … Il vient de dire ce que j'ai compris ?

    Je pourrais au départ me dire cela, mais la manière qu'il a de vivement rougir et se mettre à perdre la face me fait dire que ce n'est pas le cas. Il ne m'est pas difficile de comprendre ce qu'il a voulu dire, en réalité, alors mes joues prennent d'intenses couleurs, pendant que je reste à cligner des yeux bêtement. Mais je ne suis pas mortifié ou indigné comme il peut le croire : je suis même plutôt flatté, et je sens ma poitrine se réchauffer un peu. Je me retrouve donc pas très éloquent, soudainement.

    « A-ah, e-euh... »

    Je ne sais pas quoi faire de cette information, sur le coup. Je ne dirais pas que cela me surprend. Je le connais, et je connais aussi nos échanges physiques, pour ne pas être étonné au final. Voilà pourquoi je me retrouve à glousser un peu en dépit de la légère gêne qui me traverse.

    « E-eh bien, je t'ai connu plus subtil. »

    Ou pas, d'ailleurs, ce qui faisait à la fois son charme et qui m'agaçait tout à la fois. Je le trouvais brusque mais sincère en même temps. J'ai, de mon côté, bien du mal à l'être ; que ce soit sur ce sujet ou d'autres, d'ailleurs. Mais, pris d'un certain courage et aussi car j'aimerais qu'il ne se flagelle pas pendant des semaines à venir, je reprends la parole en détournant le regard.

    « Mais je... Comprends ce que tu veux dire, parce que je... Je pense la même chose. »

    C'est plus difficile à dire que ce que j'aurais cru, et voilà donc pourquoi je me retrouve un peu idiot, à rajuster nerveusement la manche de mes robes dans une tentative de ne pas avoir l'air trop gêné par mes propres paroles. A-au moins, tant que cela l'aide à ne pas en faire une montagne... Mais pourquoi est-ce que j'ai autant de mal à faire des phrases, d'un coup ?

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    Je ne sue pas vraiment de l'extérieur, mais je vous jure que je suis mort au moins vingt-deux fois dans ma tête. Le pauvre, je ne veux pas lui mettre la pression... Ou qu'il croit que je suis impatient ou que j'ai envie de... Eh bien je mentirais si je disais que je n'y ai jamais songé, mais ce n'est pas le sujet. Au fond de moi, c'était surtout du soulagement, quand j'ai compris qu'on ressentait la même l'un pour l'autre. Je ne pensais pas forcément tout de suite à des rapprochements intimes car il était trop tôt pour y penser, mais inconsciemment, cela libérait pas mal d'angoisses que je possédais depuis le mariage. Alors j'aimerais surtout qu'il oublie ce que je viens d'avouer, comme c'est mal sorti, mais il n'a pas l'air de... mal le prendre. Heureusement, il prend ça avec humour et je rougis davantage, sentant ma poitrine battre un peu plus fort. Puis, il m'avoue éprouver la même pensée. Je relève brusquement le regard vers lui, interdit mais flatté, ne m'étant pas attendu à ce qu'il surenchérisse.

    « Tu arrives à dire ces choses tellement naturellement, haha. »

    Haha... Euuh il fait drôlement chaud d'un coup...
    Je profite un peu de la fraîcheur du soir pour me changer les idées, même si c'est assez dur quand il est côté de moi. Je souris pourtant avec tendresse, heureux de me rendre compte que je peux rire avec lui alors que cela m'était difficile à nos débuts.

    « Tu sais, j'avais peur que tu sois... pas vraiment comme ça, au début. Que tu sois plus comme... Enfin... Tu vois. »

    Je n'ose pas le dire. Je n'ose pas prononcer le nom de son prédécesseur, que ce soit par rapport à moi ou à lui, d'ailleurs. Je sais qu'ils n'entretenaient pas les meilleures relations du monde mais je pouvais toujours quand même craindre qu'il ait pris les mauvais gênes de sa famille. J'ai été agréablement surpris du contraire.

    « Alors... Ouais, ça me rassure pas mal. »

    Je ne sais pas si on lui a déjà fait la comparaison. Ma mère craignait elle-même pour nos fiançailles, au départ. Que le petit garçon qu'elle avait connu jadis ait fini par changer au fil des années et avec la mort de sa propre mère.

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    Je suis étonné qu’il n’ait pas encore fait d’attaque, en réalité, vu comme il semble être mal à l’aise. Je peux aisément le comprendre : je ne suis en réalité pas mieux, même si je le dissimule sous un air de diplomatie. Je peux sentir sa surprise : elle était prévisible. C’est justement pour ça qu’il fallait que je parle, avant qu’il ne commence à se faire des images qui seraient ensuite bien enquiquinantes. Mais je ne peux pas m’empêcher de pouffer un peu, amusé et, je ne vais pas mentir, plutôt satisfait de le voir un peu perdre ses moyens ; comprenez, cela a tellement été mon cas que mon ego en est plutôt satisfait. Je ne peux toutefois pas m’empêcher de rouler des yeux devant son commentaire.

    « Je suis bien obligé : si je ne le fais pas, tu vas encore supposer que tu me forces la main, ou que sais-je encore comme idiotie. »

    Je ne cache pas mon sarcasme, mais ce dernier se retrouve bien vite adouci par la tendresse que vois d’un coup dans son regard. Je m’immobilise, curieux de ce qui peut bien l’affecter sur l’instant, avant de cligner des yeux d’un air perplexe quand il commence à s’expliquer. Je ne comprends pas vraiment sur l’instant : c’est quand il dit qu’il est « rassuré » que je saisis à peu près que c’est positif. Ma poitrine se réchauffe, et je me retrouve un peu incapable de dire quelque chose sur l’instant ;  pour le coup, je suis bien nigaud, tout à coup. C’est sans doute pour ça que je me raccroche à un  détail qui me fait encore un peu tiquer.

    « … Pas comme ça ? Comment ça, je suis « comme ça » ? Qu’est-ce que ça veut dire, ça ? Tu as des commentaires à faire ?!  »

    J’imite un air agacé et hautain avant de l’attraper par le cou avec mon bras pour le tirer contre moi et venir ébouriffer ses cheveux d’un geste de la main, comme l’ont déjà souvent fait ma sœur ou Mikaël avec moi. Ma voix va assez dans l’exagération pour qu’il comprenne que je suis en train de plaisanter et que je ne suis pas vraiment vexé ; en revanche, je suis bel et bien curieux.

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    J'ai du mal à me croire qu'il me connaisse aussi bien, mais il a visé juste. J'aurais sans doute fait l'idiot qui croit qu'il oblige l'autre ou ce genre de truc, sans essayer de comprendre ce que lui désire, et comprendre surtout qu'il peut vouloir la même chose que moi ; mais ça me flatte de savoir qu'il partage mes envies, au moins.
    Je suis juste surpris par son élan et l'énergie qu'il met à m'ébouriffer les cheveux, même si ça me fait rire ; au détriment de mes cheveux dont je prends pourtant soin. Natsume est une exception à la règle. Il n'y a que lui qui a le droit de me décoiffer ainsi. Je manque toutefois de revenir en arrière sur mes paroles, me disant qu'il n'a peut-être pas envie que j'aborde le sujet de son père ou même que je fasse la comparaison avec lui. Mais je suppose qu'il ne lâchera pas l'affaire, si je ne lui dis rien.

    « Eh-Eh bien... Je... Je voulais dire... »

    Je me desserre de son emprise une fois qu'il se calme.

    « Je ne savais pas à quoi m'attendre du fils de Kazuo, pour être honnête. »

    Je prenais déjà d'énormes risques en ignorant le caractère qu'il avait, mais encore plus en connaissant ses antécédents ; il y avait effectivement de quoi être inquiet, et si je n'avais pas été roi, jamais je n'aurais eu à prendre un tel pari. Alors je pars sur un sujet un peu moins drôle, mais c'est quelque chose qui m'a pesé à la poitrine pendant plusieurs mois avant de vraiment pouvoir réussir à l'apprivoiser et à le connaître davantage.

    « J'avais peur de... de finir enchaîné à quelqu'un comme lui. »

    Et j'aurais bien abandonné ma couronne à ce moment-là, si ce n'était pas pour l'honneur de mon père et la promesse que je lui ai faite avant qu'il ne disparaisse. Mais ce n'est pas de tout repos, finalement, de porter le poids d'un royaume sur ses épaules ; même si j'ai moins à me plaindre que d'autres. Au final... Je suis bien tombé. Même très bien tombé.

    « Dans le genre euh... Egocentrique, froid et manipulateur. »

    Je l'avoue avec un peu de honte, maintenant que je sais qu'il n'est pas du tout comme ça.

    « Il n'y avait pas que le mariage en soit qui ne m'enchantait pas. »

    En fait... Même si, bien sûr, l'idée me faisait peur, ce n'était sans doute pas ce qui m'effrayait le plus, quand j'y pense. Quitte à être marié de force avec quelqu'un, j'aurais été plus serein dès le début s'il avait s'agit au moins d'un visage familier.

    « Mais au final... Je suis content que ça soit toi. Parce que tu es tout l'inverse de ce que j'aurais pu imaginer. »

    Plus timide, mon regard se baisse sur l'herbe que je caresse de ma main libre.

    « Si tu tiens tant à savoir... »

    Un sourire hésitant et les joues encore rouge, je rassemble toutefois mon courage pour parler à nouveau.

    « La personne que j'ai épousé est douce, bienveillante, aimante et... Eh bien, plus maligne que moi. »

    Cela me gêne un peu de dire tout ça, même si ça ne devrait pas. C'est idiot, non ? Il est sans doute celui à qui je peux tout confier. A qui j'ai envie de tout confier. Mais je peine encore à exprimer pleinement tout ce que je ressens, de peur de paraître trop mièvre ou ennuyeux.

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    Si je ne suis pas en soi surpris par ce qu'il me dit, je me tends d'un coup net lorsqu'il se met à parler de mon géniteur. Mon expression se ferme. Si je saisis sa peur sur l'instant, je ne sais pas à quoi y répondre. Ce n'était pas vraiment mon but, d'amener un sujet aussi sérieux sur la table, mais... Tant mieux si il se sent à l'aise d'en parler. C'est qu'il peut être une vraie huître, quand il le souhaite : on a beau me dire que je suis quelqu'un de très fermé, je suis intimement convaincu qu'il l'est encore plus davantage. La seule différence est qu'il sait bien le dissimuler. Je comprends toutefois mieux le comportement qu'il avait alors avec moi.

    Mais la suite me prend un peu de court, même si j'étais curieux de l'entendre. Le voir aussi timide et intimidé adoucit mon expression. Je me retrouve toutefois à rougir intensément et soudainement lorsqu'il se met à énoncer « mes » qualités, comme si je ne m'étais pas vraiment attendu à ce qu'il en parle de cette manière. Ma poitrine se réchauffe et je me retrouve tout à coup bien nigaud, les joues écarlates et le regard abaissée. La gorge serrée par la nervosité, j'essaie de ne pas perdre la face, sans grand succès.

    « H-hmph... Cesse donc de jouer les beaux parleurs, ç-ça ne marche pas sur moi. »

    Mes balbutiements ne sont pas très distingués. Et je ne suis pas crédible, vu l'état dans lequel je suis actuellement pour seulement quelques compliments ; ah, il est inflexible, le roi des glaces... Si l'on me voyait devant lui, depuis que j'en suis amoureux, ma réputation serait brisée. Heureusement que j'arrive à faire tenir l'illusion en public, je vous le dis. Mais je me retrouve bien nerveux, tout à coup.

    « M-mais... Cela me rassure. »

    Ma main vient chercher la sienne pour venir la serrer. Mon autre se glisse sur son visage pour le relever un peu et croiser son regard, même si cela n'aide en rien les couleurs de mes joues. Avec lenteur, je finis par rapprocher mon visage pour venir chercher ses lèvres avec les miennes, en douceur et sans empressement, pour l'embrasser avec tendresse. Ce n'est pas un baiser bien long, mais lorsque je m'éloigne, je lui offre un léger sourire. Disons que c'est une récompense pour son honnêteté, si on veut, et aussi parce que l'envie m'est venue quand je l'ai entendu parler de moi ainsi.

    « Je ne suis pas mal loti non plus. »

    Je parle pour ne pas laisser de silence qui me gênerait plus qu'autre chose, même si ma voix est marquée par une légère timidité. Mais je pense ce que je dis.

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