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  • Un mariage et trop d'enterrements
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    Le dragon protecteur d'Yggdrasil s'est réveillé. Au milieu du mariage de Gaston et Camélia, souverains d'Altissia et Caldissia, la statue figée depuis un millénaire a quitté son socle pour arpenter le ciel de la cité. De son rugissement puissant, il a fait appel à des monstres sauvages pour encercler Yggdrasil, rendant les entrées et sorties en son sein impossibles. Progressivement, les vivres viennent à manquer et les stocks se vident sans pouvoir se remplir...
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    J'aurais aimé croire que la situation ne pouvait que s'améliorer. Mais ce n'était pas assez. J'ai bien remarqué qu'il manquait toujours quelque chose pour convaincre les autres. Même si je visite régulièrement le royaume voisin et que j'invite le monarque de ce dernier chez nous, les tensions n'ont pas encore diminué comme nous l'espérions après la trêve. Je sens bien que mon peuple craint encore de voyage dans le pays des Shimomura, cette dynastie qui les a tant fait souffert. La paix était rêvée mais ils ont du mal à la vivre, à se dire qu'elle est là et qu'ils peuvent traverser les frontières sans avoir peur de se prendre une flèche au cœur. Ils ont peur, mais je peux les comprendre. Même si j'ai décidé de faire confiance au roi Natsume en m'aventurant courageusement sur son terrain sans escorte à de nombreuses reprises, cela ne veut pas dire que ça a suffit aux miens pour songer à faire de même et à se mêler à ceux qui leur sont étrangers.
    J'ai eu un plan un peu fou... Un plan complètement fou, que ma mère a désapprouvé à maintes reprises en tentant de me retenir de l'exécuter. Mais mes conseillers furent surpris et ravis de cette décision et ils l'ont approuvé en m'appuyant, pensant que c'était ce qu'il y avait de mieux à faire pour que la paix puisse enfin se poser sur nos royaumes et que nous en sortions plus fort.
    'Tu n'as pas à faire ce sacrifice.'
    Mère s'est beaucoup inquiétée pour moi quand je lui ai parlé de ce mariage arrangé avec Natsume. Elle sait comme je tiens à ce genre de chose, et surtout ce que ça va impliquer au niveau de notre opinion publique. Nous n'aurons pas le droit à l'erreur si nous voulons que ça marche, et je le sais. Mais j'ai promis à Père que j'apaiserai nos serviteurs, que je dissiperai les doutes, et que je ne fragiliserai pas davantage notre pays avec des erreurs. Nous ne pouvons pas nous permettre de continuer incessamment de mener des batailles inutiles. Depuis la mort de Kazuo, la signature d'un traité de paix était devenu envisageable et c'est ce que nous avons fait, mais il fallait autre chose. Il fallait plus.

    « Puis-je m'entretenir avec sa Majesté le roi Natsume ? »

    Accompagné de seulement quelques gardes, je suis venu visiter le royaume Shimomura pour une de nos rencontres mensuelles dont nous avons pris l'habitude. Mais c'est pour un sujet bien particulier que je viens le voir aujourd'hui. Le visage grave, ce n'est en effet pas une très bonne nouvelle que je viens lui porter, et j'ignore encore même ce qu'il va en penser.

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    Je me doutais bien que tout ne serait pas aussi simple. J'étais près au bras de fer ; aux manigances, aux stratégies complexes, aux longues parties d'échecs où il me faudrait considérer chacune de mes actions pour ne pas risquer d'être mis échec et mat. De la prudence et du temps. Je pensais que ces éléments m'aideraient à faire accepter la paix dans un pays aussi assoiffé de vengeance ; si j'avais imaginé que certaines factions n'apprécieraient pas d'être ainsi affaiblies par la fin des conflits, je ne pensais pas qu'il serait si dur de les contrer. Du moins, pas tout de suite. Je croyais avoir le temps de renforcer mes troupes et mes partisans, mais... Nos opposants sont tenaces et féroces. Ils veulent nous saisir à la gorge dès maintenant.
    Chaque mois, chaque semaine, ces derniers tentent de provoquer des accidents diplomatiques. Je dois bien passer la moitié de mon temps à tenter de les garder sous contrôle. Je crains l'effet d'une guerre civile sur une population déjà fatiguée par des décennies de conflits ; et, en plus de ça, je sais que la division du pays serait la pire des choses. Tant que cette paix n'est pas définitive et signée, le danger est aussi réel que proche. J'en ai conscience chaque jour, alors que mes épaules se tendent un peu plus et que mon regard se fait plus perçant. Si j'apprécie les efforts du roi Enodril, que j'ai définitivement pu observer au cours de ces derniers mois, nous sommes tous les deux dans une position où il nous faut trouver un moyen de rendre cette paix aussi solide qu'inévitable. Et de telles conditions me semblent presque impossible à provoquer.

    « Vous n'avez qu'à lui proposer la main de votre sœur », avait suggéré un de mes conseillers, comme si de rien n'était, au cours d'une réunion. Le regard mauvais que je lui avais jeté l'avait fait taire sur le champ et avait provoqué un silence glacial dans la pièce.

    « Tenez votre langue. »

    Il est relativement rare que je perde ma patience ainsi, ou que mon regard se fasse si courroucé. Furieux, j'étais même prêt à ajourner immédiatement la séance, mais je n'en avais pas eu le temps. Nagisa avait saisi mon poignet, le regard morne et fatigué. Elle, tout autant que moi, est lasse. Elle ne supporte plus cette guerre où elle a déjà beaucoup payé. Je n'eus pas besoin de lui parler sur l'instant. Je pouvais le voir dans la façon qu'elle avait de me regarder – ce regard qu'elle prenait toujours quand elle se préparait à m'annoncer une nouvelle déplaisante, cette façon de s'approcher calmement pour que je ne me braque pas et que je ne me mette pas immédiatement à mordre. Je pouvais la voir, cette résignation qui avait imbibé ses membres sur l'instant, et elle me fit l'effet d'un courant d'eau glacée sur la nuque. L'idée semblait plaire à la tablée, vu les regards qu'ils se jetaient. Il fallait que je réagisse vite. Les dents serrées, le regard dur, j'avais immédiatement refusé.

    « Non. Non, je trouverai un autre moyen. Hors de question. 
    - Natsume...
    - Nagisa, tais-toi. C'est un ordre. »


    Et la conversation s'était effacée dans un silence glacé. Pour autant, je savais que, malgré mes tentatives, la question reviendrait. Inévitablement. Et je n'avais que peu de temps pour trouver une solution moins insupportable.



    « Une visite aujourd'hui... ? »

    Les sourcils froncés, j'avais accueilli la nouvelle de la venue du roi Samaël avec confusion et légère inquiétude. La majeure partie du temps, je m'assure en effet qu'il dispose d'une escorte importante pour éviter tout accident préjudiciable ; alors si je suis préoccupé, cela s'efface toutefois pour laisser place à une sensation que tout cela doit être bien important. Hochant de la tête pour faire signe aux gardes qu'ils peuvent l'accompagner jusqu'à la salle du conseil – où nous serons plus à l'aise pour discuter au besoin -, je ne peux toutefois m'empêcher de réfléchir pensivement en attendant. La situation se serait encore envenimée... ? Des nobles de mon royaume auraient agi en notre défaveur... ? Je ne m'en rends pas compte, mais ma tension a encore monté depuis le mois dernier. Nagisa le sent, alors qu'elle me fixe d'un regard et sans rien dire. Livie n'est pas à l'aise. Katya n'a pas dit un mot, ayant perdu de sa verve habituelle.

    Lorsque mon homologue finit par entrer dans la pièce, je l'accueille par un bref salut ; je ne passe pas beaucoup de temps là-dessus. Fort heureusement, il ne semble pas si préoccupé que ça par le protocole, ce qui me permet alors d'aller à l'essentiel. Je n'aime pas traîner en longueur. Je l'invite plutôt à s'asseoir en laissant un garde lui tirer le siège de l'invité d'honneur.

    « Que me vaut votre visite, votre Grâce ? »

    La tension que je peux sentir dans son comportement est contagieuse. Le sérieux sur son visage ne me dit rien de bon ; quelque chose me dit que ce que je vais entendre risque de me déplaire. Mais j'imagine qu'à ce stade, je ne suis plus à ça près.

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    « Majesté... »

    Je suis encore nerveux lorsque j'entre dans la pièce et que j'aperçois le monarque mais je tente de garder mon calme pour ne pas le faire paniquer. Déclinant poliment l'invitation du garde pour que je prenne place dans un siège, je me redresse pour paraître digne malgré les préoccupations qui parasitent mon esprit. Je rêverais de pouvoir retourner dans mon lit afin de m'enfuir dans de paisibles songes, mais cela va devoir attendre. Enfin... Pas que mes songes soient si paisibles que ça, en vérité. Ces derniers temps, je suis si tendue que je me couche à des heures pas possibles et que les cauchemars s'accumulent. Même si nous avons des rangs égaux, je m'incline avec respect.

    « J'ai quelque chose de très important à vous dire. »

    Mes doigts s'agitent, et pourtant je dois tenter de faire bonne figure. J'ai laissé mes gardes à l'extérieur pour le moment. Leur venue n'a eu pour but que de rassurer Mère lorsque je suis parti, mais en vérité je les sais inutile le temps de mon passage ici. Mon cœur se met toutefois à exprimer des bondissements incessants, pendant que mes pensées se mêlent pour savoir quelle phrase sera meilleure à sortir. Mais cela n'aura pas beaucoup d'honnêteté, de toute manière. Je joue pourtant très bien la comédie, quand je veux.
    Un léger sourire arque mes lèvres. Je m'approche lentement du souverain. Puis, je pose un genou à terre comme si j'allais me faire sacrer. Mon couronnement est pourtant déjà passé il y a plusieurs mois. Prenant une brève inspiration, je relève mon regard sur lui. Ma main, elle, s'en va prendre la sienne que je me permets de toucher.

    « Je suis venu vous demander... votre main. Voulez-vous m'épouser ? »

    J'ai rêvé de prononcer ces mots, mais... pas à son encontre. Aujourd'hui j'ai fait néanmoins le choix d'assumer ma position et de privilégier le bonheur de mon peuple en délaissant le mien. Je regrette de devoir faire ça à l'héritier du royaume Shimomura, mais je ne pourrai pas accomplir mes projets sans son soutien.

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    Son comportement est étrange. Pour une raison que j'ignore, je sens mes poils se hérisser sur mes bras face à cette ambiance qui me laisse anxieux et malaisé. Quelque chose cloche. Si mes sourcils se froncent, je ne dis rien, étudiant son expression et sa manière de faire pour parvenir à comprendre ce qui semble le préoccuper à ce point. Je n'aime pas cela. Et en le voyant se mettre à genoux, si je me tends, c'est un véritable sentiment d'angoisse qui commence à nouer mes tripes ; je crois que j'avais déjà une idée d'où cela se dirigeait lorsque mon homologue se mit à me prendre la main.
    Le hoquet effaré et choqué de Livie est le premier son qui résonne dans la pièce après la « demande » auquel nous avons tous assisté. Katya et Nagisa se sont tendues, mais l'expression dégoûtée de la seconde trahit sa pensée. La première n'a pas cillé ; mais sa prise, inconsciemment, se serre autour de la tasse qu'elle tenait jusque lors.

    Leurs regards sont lourds sur mes épaules, comme autant de poids supplémentaires à ceux qui m'élourdissent déjà le ventre et la poitrine. Je n'ai pourtant pas bougé. Que ce soit mon visage ou mon corps, tous deux sont restés immobiles et inflexibles ; mon regard, lui, s'est planté de celui de mon allié, comme pour chercher à pénétrer le sien. Mes traits sont fermés, sombres. Je ne dis pas un mot.

    « Majesté, vous n'allez pas... ! »

    Livie s'est vivement relevé.e. Si je voyais son regard, j'y remarquerai des étincelles de dégoût, de panique et de peine. Si je remarquerai l'effroi dans ses muscles tendus, dans sa manière de fixer notre échange comme si iel voulait se convaincre qu'il n'était pas en train d'y assister et qu'iel allait se réveiller d'une seconde à l'autre. Si j'étais plus attentif, je percevrais la manière dont sa voix semble se bloquer dans sa gorge, dont ses yeux s'humidifient malgré ses tentatives de le cacher. Si j'étais un tant soit peu plus fin psychologique, je pourrais également comprendre la raison de son soudain et brusque emportement, comme semble l'avoir fait Katya à l'instant ; sa main se saisit doucement mais fermement du poignet de lae blanc.he, sans un mot. Elle lae retient de faire un geste de plus.
    Nagisa, quant à elle, n'a pas dit un mot. Mais je peux sentir son regard sur moi. Je peux presque l'entendre clamer qu'elle peut le faire à ma place – que même si l'idée la révulse, elle est plus tolérable que celle-ci à ses yeux.
    Malheureusement pour elle, j'ai la même opinion à son sujet.

    Mon regard n'a pas bougé depuis plusieurs longues secondes. La question de mon vis-à-vis me remonte en tête, comme une narquoiserie du destin à mon encontre.
    Non. Bien sûr que non, que je ne le veux pas. La réponse est évidente, et se noue dans ma gorge comme un relent âcre. Les mots ne sortent pas, toutefois. Il le sait, après tout. Il doit se douter de ce que j'aimerais dire. De mes pensées. Je sais bien que sa question n'a rien de sentimental ; un mensonge aussi grossier n'aurait pas de sens. Alors je l'observe, cherchant dans son regard la détermination et la résignation que j'ai besoin de voir pour tolérer la mienne, ou si il baissera les yeux. L'expression fermée et impassible, ma voix finit par résonner comme une sentence.

    « … Sortez. Laissez-nous. »

    Nagisa détourne le regard. Si Livie s'apprêtait à protester et s'avance pour me rejoindre, ma sœur fait pourtant le choix de lae retenir par la force de ses bras, sans même me regarder. Mais je peux voir à la crispation de ses doigts sur les bras de lae blanc.he se débattant dans ses bras qu'elle bout sur place. Katya, de son côté, s'est simplement levée dans me regarder, prenant le chemin de la porte et veillant à la fermer derrière ses camarades. Elle ne m'accore pas un regard.
    Lorsque le silence retombe dans la pièce et que nous nous retrouvons seuls, je finis par reposer mes yeux sur la silhouette de mon homologue agenouillé. La vision me met encore mal à l'aise.

    « Relevez-vous. Inutile d'en faire davantage, vous n'êtes plus observé. »

    Autant mettre fin à cette mascarade tout de suite, même si j'estime qu'elle était déjà bien inutile devant mes plus proches conseiller.e.s. J'ignore pourquoi il y tenait – et à vrai dire je ne préfère pas explorer le sujet. Dans un soupir, je me relève ; je ne supporte plus vraiment d'être assis, après cela, et j'admets que le besoin de m'éloigner fut suffisant pour me faire préférer le fait de rester debout.
    Mon regard retourne ensuite sur mon interlocuteur. Plus fatigué, plus las. Plus honnête, sûrement.  Si mon expression semble fermée au premier abord, c'est le dépit qui se manifeste en premier lieu dans mon ton.

    « Avons-nous déjà épuisé tant de recours que cela... ? »

    Je peine à y croire. J'aimerais que ce ne soit pas le cas. J'aimerais que nous disposions de stratégies plus intéressantes, plus utiles. Ou simplement efficaces. Mais moi-même, alors que je parle, je me rends compte que je ne suis même pas convaincu. Je sais bien, au bout du compte, quelle sera ma réponse. Et je crois qu'il s'agit d'un aveu de défaite au goût amer.

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    Si je devais le faire qu'une fois, je souhaitais que ça soit fait bien. Enfin... Dans la mesure du possible. Je ne suis pas du tout d'humeur à jouer les romantiques, et pourtant je n'aurais probablement que ça pour combler mes fantasmes les plus lointains. On me vendait dans les histoires des cérémonies grandioses entre personnes qui s'aimaient profondément. De beaux contes que je dévorais et qui m'ont suivi jusque dans mes rêves. Aujourd'hui j'ai dû leur dire adieu quand j'ai compris que non, un roi a peut-être beaucoup de pouvoirs, mais il ne fait pas ce qu'il veut. L'une des plus grandes désillusions de ma vie, sans doute. Je ne m'offusque pas que ça doive tomber sur Natsume, toutefois. Je ne le connais que peu, mais... Je sais que ça aurait pu être bien pire. On ne choisit pas toujours. En l'occurrence, je n'ai pas vraiment choisi le concerné, mais ce que je sais tend au moins à me rassurer ne serait-ce qu'un peu.

    Je savais que ça ne ferait pas l'unanimité, toutefois. Je sentais déjà la tension envahir la pièce mais la protestation du capitaine de sa garde ne me surprend guère. Sans même les voir, je sens les regards sombres posés sur mon geste. C'était sûrement inattendu de ma part que je fasse tout le trajet juste pour faire une pareille proposition, mais l'héritier Shimomura est intelligent. Son regard trahit une certaine compréhension de mes intentions. Il somme tout le monde de sortir. À contrecœur, ses plus proches et les soldats nous laissent tranquilles, seuls dans la pièce. Je ne m'attendais pas à ce qu'il croit vraiment que je me sois entiché de lui. Il arrive évidemment à deviner la raison de ma présence. En silence, je me relève donc à mon tour, las.

    « On ne calme pas des décennies de guerre aussi facilement. »

    Un sourire peiné, mes yeux scrutent les vitraux colorés des grandes fenêtres, comme si leur chatoiement pouvait me permettre de m'échapper de cette situation. Je peux au moins de nouveau être sincère.

    « J'aurais aimé qu'il en soit autrement. »

    J'avais une certaine idée du mariage ; elle ne correspond bien sûr à rien de ce qui se présente à nous et de ce que pourra potentiellement être mon futur, mais... Je ne pourrai jamais regarder les habitants de mon royaume en face si une bataille devait de nouveau éclater parce que je n'aurais pas fait le nécessaire.

    « Mais je ne peux et ne veux vous forcer à rien. Si vous refusez, je comprendrais. »

    Il est évident d'une chose : je ne pourrai rien faire sans lui. Je ne vais pas le menacer pour accepter. Je venais le consulter pour trouver avec lui une solution viable également ; si nous pouvons éviter un mariage arrangé, ça me va très bien. Ce n'est pas dit, toutefois, que le constat auquel je suis arrivé n'est pas parvenu jusqu'à lui.

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    J'aimerais avoir une idée bien meilleure à proposer. Un plan parfait, une solution miracle, quelque chose qui rendrait l'hypothèse à laquelle nous nous heurtons grotesque et inutile. J'ai toujours une idée, toujours un plan de rechange, toujours quelque chose pour contrer les éventualités les plus complexes. Mais pas dans ce cas. Je n'ai rien, si ce n'est mon dépit, ma fatigue et la sensation désagréable d'avoir tellement mal joué qu'il ne reste plus que ce genre de solution désagréable. L'impression persistante d'un échec.
    En silence, je le laisse parler sans le contredire. Ses paroles font écho aux miennes, résonnant dans mon esprit comme l'expression de ce qui bourdonne et s'agite dans ma poitrine. Mais cela ne change rien aux reflux acides et amers qui passent de mon ventre à ma gorge, avant de redescendre avec la même hargne. Mon regard s'est porté sur la table, puis sur les murs. Ils me semblent étrangement proches, aujourd'hui. Comme si ils se rapprochaient. Comme si, finalement, la réalité revenait m'enfermer elle aussi. Elle est violente. Violente, mais bel et bien là ; et assez visible pour que, devant ses dernières paroles, je hoche négativement de la tête, résigné mais lucide.

    « … Je ne peux demander à quelqu'un d'autre de souffrir pour mon égoïsme.  Ou d'éponger mes propres responsabilités. »

    Je sais bien que si ce n'est pas moi, les nobles insisteront pour que ce soit ma sœur – et quel argument opposer, puisque cette dernière accepterait si cela lui permet de m'éviter une pareille situation ? J'ai beau être roi, je ne peux pas me comporter comme un tyran et retirer leur libre-arbitre à mes sujets. Mais je peux leur mettre des bâtons dans les roues et assumer les responsabilités qui tombent sur mes épaules. Une expression désabusée et fatiguée, je relève le regard vers mon interlocuteur, sans cacher mon dépit.

    « Très bien. Vous aurez ma main. »

    J'ai presque l'impression que de prononcer ces mots me laisse un goût rance dans la gorge, comme si j'avais de la cendre dans la bouche. Et une fois que je les ai prononcé, c'est un nœud qui se forme dans ma poitrine et fait dériver mon regard vers la table. Je ne veux pas y penser. Je veux faire comme si j'avais déjà oublié les avoir prononcé. Comme si je pouvais éviter de penser à ce que cela m'évoque si je me rabats sur le reste. L'air pensif et désabusé tout à la fois, je reprends toutefois la parole pour un commentaire.

    « Mais il faudra s'attendre à des protestations, armées ou non. Malgré tout, tous nos problèmes ne seront pas réglés, et d'autres pourraient surgir. »

    Une telle solution serait radicale, mais elle provoquerait également des mécontentements. Je ne doute pas que ce type d'union, surtout quand tant de pouvoir est impliqué, suscitera des réactions vives. Quand bien même il s'agit d'une méthode pour obtenir la paix, j'ai de sérieux doutes sur le fait que ce soit la fin de nos soucis, loin de là. Mais je m'y suis fait, depuis le temps ; je le sais depuis un moment.

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    Cela m'enchanterait dans un autre cas. Mais personne n'aime qu'on leur force à faire quelque chose. Je regrette d'avoir à poser ce poids sur ses épaules, s'il l'accepte. Je sais qu'il ne prendrait pas une telle décision à la légère. Il semble bien plus mesuré que moi en ce qui concerne la prise de directives. En dépit de la folie de ce que je lui propose, toutefois, il réfléchit mûrement, sans même me rejeter directement. Je le laisse peser le pour et le contre, même si son hésitation et les réflexions qu'il énonce à voix haute prédisent déjà un peu sa réponse. Lorsqu'elle s'élève dans l'air, toutefois, je reste surpris qu'il ait finalement dit oui. Un étonnement qui peut se lire aisément sur mon visage quand bien même c'est moi qui suis venu le voir exprès pour ça. Car pendant le trajet, je me demandais tout de même si je ne partais pas dans un délire beaucoup trop grand, ou beaucoup trop stupide. Peut-être étais-je extrême à songer à une pareille possibilité qui me semblait, sur le moment, être la seule qui nous restait si nous voulions apaiser les pays. Mais... Je suppose que c'est ainsi, alors. Nous allons nous marier. Pas que j'espérais que cela résoudrait tout, non... On me dit naïf mais quand même pas à ce point ; et ce serait bien trop facile. Néanmoins... Je crois mes conseillers quand ils me disaient que le peuple se méfierait moins et tendrait à me faire confiance si je venais à épouser le roi adverse.
    'Mais il ne faudra pas que ça se voit comme un mariage politique. Sinon, cela n'aura aucun intérêt.'
    Je frissonne légèrement en repensant à tous les avis que l'on m'a donné, même si je sais qu'ils ont raison. Je dois leur prouver... Ou au moins leur faire voir que je fais réellement confiance à Natsume au point de lui demander sa main. Je dois en avoir l'air heureux. Je dois en avoir l'air fier. Et ils vont devoir y croire.

    « Alors... Nous partageons les mêmes doutes, à ce que je vois. »

    S'il n'a pas mis longtemps à se décider, c'est que la suggestion ne lui a pas semblé si dérisoire que ça, et qu'il en était venu probablement à la même conclusion que moi.

    « Cela aura au moins le mérite de les surprendre et de remettre en question la méfiance qu'ils vous portent. Puisque leur roi a une confiance aveugle, ils devront en faire de même. Je suis entièrement prêt à l'assumer. »

    Je ne ferais pas ce sacrifice si je savais que c'était voué à l'échec. Non... Je me doute que ça ne satisfera pas tout le monde, mais c'est impossible de faire entendre raison à toute une population, de toute façon, à commencer par les plus haineux qui ne voudront pas gober que je puisse me marier avec le fils de Kazuo après ce qu'il leur a fait, ainsi qu'aux nobles qui se demanderont comment se passera l'héritage dans ce cas-là. Et ceux qui auront peur que Natsume abuse à ce moment-là, aussi.
    Un bref soupir m'échappe, fatigué et navré.

    « Je suis désolé d'avoir dû vous demander ça. »

    Cela me gêne, bien sûr, d'avoir à en arriver là. Peut-être avait-il même d'autres projets avec quelqu'un d'autre.

    « Si... Si vous avez déjà quelqu'un dans votre vie, bien sûr, ça... Ça ne me dérange pas. »

    À ce titre, puisqu'il s'agit d'un mariage arrangé, cela devrait couler de source, mais je voulais quand même le rassurer à ce sujet. Bon, oui, après tout c'est pas parce que je n'ai pas de réel succès que c'est le cas pour lui. Enfin... Tout le monde cherche à s'attirer les faveurs d'un monarque, mais je n'accorde pas ma confiance à n'importe qui. La mort de Père m'a un peu... Un peu renfermé par rapport à ça même si je reste optimiste la plupart du temps.

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    Malgré mon calme apparent, il me faut un temps pour digérer l'idée. Ce n'est pas parce que je suis résigné et que j'accepte ce que j'ai à faire que je le vis bien, mais ce n'est pas le moment pour cela. Mon interlocuteur doit être dans la même situation, alors j'estime qu'il est plus décent de ma part de ne pas commencer à me plaindre.
    Je suis toutefois dubitatif quant à ses premiers arguments, même si il n'est pas aisé de les rejeter en bloc. Je ne sais pas si mon avis ou son avis seront si importants que ça pour nos peuples... Plongé dans mes pensées, je ne relève la tête que devant ses excuses qui me font cligner des yeux, surpris par son besoin de me... Enfin, de me parler de cela. Dubitatif mais appréciant sa sincérité, je hoche négativement de la tête, ne souhaitant pas qu'il se pose de questions là-dessus.

    « Non, ce n'est pas le cas. Je n'ai jamais... Eu beaucoup de temps pour cela. Je ne briserai le cœur de personne, par conséquent. »

    La pensée me tire un rictus désabusé. Après tout, personne ne s'est jamais présenté à moi avec de pareilles pensées, du moins d'une manière qui ne soit pas opportuniste et intéressée. Et au delà de mon désintérêt manifeste, je n'ose imaginer ce qui se serait passé si mon géniteur en avait entendu parler ; déjà que j'estime avoir eu beaucoup de chances qu'il ne me force pas à épouser quelqu'un pour ses intérêts... Je me demande d'ailleurs pourquoi il ne l'a jamais fait. Cela ne lui ressemblait pas, de laisser passer une occasion pareille. Mais je suppose que je peux m'estimer chanceux. Quitte à faire un mariage arrangé, autant que je ne me retrouve pas avec quelqu'un que je déteste foncièrement. J'estime que j'aurais pu tomber sur bien pire, même si nous ne nous connaissons que très peu et superficiellement. Contrairement à ce que ses premiers... Actes, si je puis dire, en tant que souverain, ont pu laisser croire, mon homologue n'est pas du genre barbare sans âme. Mais j'admets que mes standards sont bien bas, vu la vie à laquelle je m'attendais tant que mon prédécesseur était encore vivant.
    Reprenant ce qu'il avait dit précédemment, je souhaite tout de même lui rappeler que l'inverse est tout aussi possible.

    « Il va de soi que l'inverse est vrai aussi. Vous pouvez bien faire votre vie comme il vous l'arrange, cela ne m'importerait guère. »

    Hochant négativement de la tête, c'est pour moi quelque chose qui n'est même pas une question. Quand bien même il faudrait être discret... Et encore, il n'est pas rare que nos ancêtres aient eu des concubin.e.s sans que cela ne gêne vraiment quiconque : même si, dans mon royaume, un certain relent conservateur a affaibli cette tendance. Je pourrai toujours objecter que dans son pays, mon interlocuteur a bien le droit de faire ce qu'il souhaite.

    « … Mais ne vous excusez pas. Je suis simplement désolé de n'avoir aucune solution plus agréable à proposer. J'ai la sensation d'en être à court. »

    Relevant le regard vers les couloirs, j'essaie d'envisage toutes les conséquences de nos actions, mais j'ai bien du mal. Est-ce qu'un pareil acte suffira... ? Quelles seront les attentes, les comportements avec lesquels il faudra juguler ? Je suis doué en stratégie et en politique, mais pas... Pas pour des mensonges aussi élaborés. Pas pour ce sujet-là. Et cela me dépite de constater que nous allons devoir jouer quelque chose de conséquent sans avoir pleinement conscience de tout ce que cela va provoquer. Et encore. Il faudra faire une déclaration officielle, préparer des centaines de papiers, et tout cela n'est que la partie "simple" : le pire est pour après.
    [

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    Je ne veux pas qu'il se retienne d'aller batifoler si le cœur lui en dit. Après tout, ce n'est qu'un mariage politique, que nous devrons faire passer pour autre seulement aux yeux du public. S'il y a bien une chose que je ne désire pas, c'est que cela le rende malheureux. Je ne pense pas que cette union fera son bonheur, mais je ne souhaite pas qu'il se sente emprisonné non plus.

    « J'imagine qu'un moment les choix deviennent si minces qu'on n'en a plus tellement. »

    Je me masse l'arrière de la nuque d'un air désolé. Cela me navre d'en être arrivé à cette conclusion, et encore plus de voir qu'il n'a pas forcément meilleure solution. Mais c'est ainsi. Faiblement, je tente quand même un mince sourire.

    « J'essayerai de faire en sorte que ça ne vous pèse pas trop. »


    ~

    « Eh bien, eh bien... Quelle surprise, moi qui pensais que vous ne trouveriez jamais chaussure à votre pied, Majesté.
    - Mais ne vous ai-je pas dit que la vie était pleine de surprises, Duc d'Agape ? »

    La soirée bat son plein. Les invités font la fête, mangent, boivent, dansent. Et discutent. Discutent beaucoup. Un peu trop, même.

    « Alors, Sa Majesté Natsume vous a tapé dans l'œil, hm ?.. C'était très inattendu, aussi... Le fils de votre plus grand ennemi... Que dirait votre père de tout ça ?
    - Figurez-vous que mon père était très proche de la reine Miyu. Je ne me laisse pas dicter ma vie par des morts. »

    Nous avons officialisé mon mariage avec Natsume. La cérémonie s'est bien passée mais ne s'est pas faite sans amertume des deux côtés. L'un comme l'autre avons émis nos conditions pour que tout se passe bien, mais ça ne veut pas dire que nous étions à l'aise devant l'autel. Ce n'était... pas exactement comme j'en avais rêvé depuis toujours, mais j'ai décidé de prendre mes responsabilités jusqu'au bout.
    Mais cela a surpris bon nombre de nobles à la recherche de pouvoir qui pensaient m'amener la main de leurs enfants afin de les asseoir sur le trône à mes côtés, voire à ma place. Comme le duc d'Agape, par exemple. Il a tenté maintes fois de me donner sa fille en mariage, alors que je préfère à la place m'allier avec le roi Shimomura n'a pas dû trop lui plaire. Malheureusement il colporte très bien les ragots alors je n'ai pas le droit à l'erreur. Natsume encore n'a pas une réputation de romantique, alors ça peut passer. Mais je dois quand même faire bonne figure pour deux et fausser des sentiments absents. Si nous voulons que les gens y croient, je dois donner mon maximum. Au moins, je sais mentir quand cela m'arrange, du moins être assez convaincant.

    « Mais Natsume a beaucoup de qualités. Il possède une rare intelligence et un grand sens de la stratégie. Ce sera une grosse force pour nous si un jour nous nous faisons attaquer par un de nos voisins.
    - Hmm.. Certes, certes... »

    Le duc sourit d'un air poli et très peu sincère avant de prendre finalement congé quand il se rend compte qu'il ne pourra pas me duper. Pourtant, ce n'est pas chose aisé de garder la face pendant des jours et des jours. Heureusement, quand nous sommes dans... dans 'notre' chambre, je peux enfin me détendre et être moi-même. Vidant une coupe de vin que je pose sur un plateau qu'un serviteur fait passer devant moi, j'expire de soulagement avant de me tourner vers mon 'mari'.

    « Ce qu'ils peuvent être tenaces... Je crois que je me suis un peu sous-estimé. »

    Mais bon, il faut encore que je tienne jusqu'à au moins la fin de la soirée avant que les invités ne s'en aillent. Que j'ai déjà hâte que cette journée s'achève...

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    Le pays a beau changer, je suppose que la noblesse reste toujours la même. Et les obligations que provoquent leur existence aussi. J'avais cru, somme toute peut-être naïvement, que celle du pays de mon homologue était moins pénible à vivre que dans le mien ; j'avais visiblement eu tort.
    Les mêmes réflexes me reviennent vite, au final. Mimer l'intérêt et la concentration, quelques formalités, de la politesse, montrer qu'on est présent, et c'est tout. Mais si je sais faire cela car j'y ai été éduqué et que j'en ai l'habitude, cela ne veut d'une part pas dire que j'ai l'aisance de mon 'mari' (le mot me laisse encore un goût désagréable en bouche) et cela ne veut d'autre part pas dire non plus que je ne meurs pas de l'intérieur depuis quelques heures.

    Faussant un sourire poli, je laisse volontiers Samaël discuter pendant que je mime l'intérêt vers un autre détail de la pièce. Je n'ai même pas besoin de me rapprocher plus que ça pour saisir la conversation qu'ils ont ; j'ai déjà eu droit à la même chose plus d'une fois. Sur cela, je suppose que je peux comprendre mon vis-à-vis mieux que quiconque, et si le malaise continue d'ensserrer ma cage thoracique, je ne retiens pas un discret et très léger sourire amusé devant ses tentatives d'enfumage. Il ne m'avait pas menti, je suppose, quand il disait être bon acteur... Même si je préfère ne pas entendre ce qu'il dit sur mon compte. Cela hérisse le poil sur mes bras d'une manière bien désagréable.

    Si j'ouvre légèrement les yeux d'un air très perplexe en le voyant vider une coupe de vin d'une traite (je sais bien que nous n'avons pas la même carrure, mais tout de même), il me faut un temps pour revenir à la réalité suite aux paroles qu'il m'adresse. Il faut dire que depuis quelques heures, je... Enfin, je suis là, mais je ne suis pas vraiment là, vous comprenez ? Je fais ce que je fais à chaque fois que je dois supporter ce genre d'événement : je dissocie. Remarquez, c'est très efficace. Ce n'est pas pour rien que l'on me surnomme roi des glaces, ou que j'ai une réputation inacessible. Mais c'est encore plus difficile à faire quand je ne suis pas chez moi – quand bien même il va falloir que je me fasse au fait que... Je suis censé l'être. Même si Mikael et Aloïs m'ont suivi, j'ai toutefois encore bien du mal.
    Enfin. Toujours est-il que je mets quelques secondes à répondre, ne sachant pas tout de suite pourquoi il me parle de ça, avant de saisir, avec du retard, qu'il veut peut être simplement faire la discussion.

    « … J'aurais cru qu'ils seraient moins sur les crocs ici, je dois l'avouer. »

    Mais en même temps... Je suppose que le mariage récent les a agacé. Compréhensible, vu le véritable séisme que cela provoue dans l'ordre politique, j'imagine. Du côté du royaume, les nobles digèrent très peu cette nouvelle concentration de pouvoir ; et je dois dire que c'est légitime, pour une fois. Quand bien même j'ai bien indiqué que le rôle de chacun de nous dans le pays de l'autre serait purement diplomatique, il n'empêche que cela nous permet de disposer d'un poids supplémentaire dans les négociations.

    « … Y-a-t'il quelque chose en particulier que j'ai besoin de savoir...? Afin d'éviter tout incident... »

    J'essaie tout de même de me reconcentrer, même si j'ai bien du mal. Il faut dire qu'au delà du changement d'environnement qui ne me laisse pas dans mon élément (j'ai toujours beaucoup de mal à ne pas balbutier devant certains de mes cousins), je ne connais pas grand chose de ce qui est plus « informel ». Les aspects économiques, juridiques, j'ai eu le temps de les étudier ; le reste... Malheureusement, on s'y habitue sur le tas. Et je ne dispose que d'un allié, avec qui j'apprends lentement à faire. Mais ce n'est pas si simple, surtout lorsqu'il faut simuler de l'affection

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    Ceux qui recherchent à accéder aux plus hauts rangs seront pareils d'un pays comme dans un autre. Mon père a vraiment eu de la chance de tomber sur des personnes de confiance dont j'ai pu hérité à sa mort prématurée mais je sais que j'aurais pu me coltiner les pires crapules du royaume. Nous sommes un peu plus tranquilles que le pays de Shimomura mais ça ne veut pas dire que nous sommes propres partout ; mais la majorité au moins a fui en direction de Kazuo pour le servir car leurs intérêts et leurs personnalités se ressemblaient. Trahir sans vergogne si on leur promettait des places de choix, tels étaient les nobles qui se sont enfuis de chez nous avant qu'on mette la main sur leurs scandales. Les guerres ont eu au moins le mérite de faire un peu de ménage et à ce titre, heureusement, les plus honnêtes gens ont migré dans nos quartiers. Alors bien sûr, après la mort de Kazuo, certains ont rampé comme des serpents pour tenter de rentrer dans mes bonnes grâces en pensant que j'étais différent de mon géniteur et que j'allai tout pardonner. Leurs vacances aux cachots ont eu le mérite de les faire réfléchir un peu, au moins.

    « Vous m'avez confié ne pas être très doué pour la comédie... Alors vous n'êtes pas obligé de faire semblant tout le temps mais ne vous éloignez pas trop de moi pour ce soir. »

    Quand Natsume me demande conseil, toutefois, je ne sais pas trop quoi lui répondre. Il est déjà assez... stoïque en apparence. On a du mal à savoir à quoi il pense. Mais c'est habituel. Alors impossible d'éveiller le moindre soupçon, en théorie. Je ne veux juste pas que les gens trouvent ça trop louches. Après, y'a des choses on y peut rien. Vu que je suis le plus expressif et le plus social, je fais une grande partie du travail.

    « Ils me font confiance en majorité alors ils ne vont pas vous jeter dessus, mais certains n'ont pas abandonné leur soif de pouvoir. »

    Je ne peux que l'avertir sur les potentiels vautours qui vont lui tourner autour.

    « Au moins, grâce à vous, les nobles m'embêteront moins avec leurs unions à la noix. »

    Chercher un point positif pour ne pas trop que la tête tourne... Ah non ça c'est juste l'alcool. Je rêvais d'être roi mais il y avait du bon, dans l'insouciance d'être prince. Du coin de l'œil, j'observe le cuisinier et le médecin du roi Shimomura à l'autre bout de la salle. Le premier retient le second de draguer les domestiques du palais. Ils sont libres, eux. Un bref soupir m'échappe. Une couronne a de biens lourds fardeaux, décidément. Mais si je commence à m'attrister sur mon sort, je ne suis pas couché. Un peu gêné, je me penche vers le hérisson.

    « Il faudra juste... leur montrer qu'on est quand même un peu... Enfin, vous voyez. »

    Je ne devrais pas être aussi timide en lui demandant ça mais c'est un peu délicat même pour des gestes simples. Je le sais peu friand du contact physique de ce qu'il avait déjà pu me dire, alors je me rends compte que ça ne doit pas être évident pour lui.

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    Quand bien même il m'indique que je n'ai pas à surjouer, je ne peux pas dire que j'apprécie de ne pas être d'une grande aide. Je l'envie quelque peu. Tout cela a l'air simple pour lui, comme si c'était naturel, d'être aussi faux ; de mon côté, je ne sais que cacher ce que je peux ressentir. Je ne sais pas simuler l'affection ou l'amicalité. Je suppose que ma capacité à rester stoïque est déjà ça de pris, mais... Un peu dépité, je ne peux pas m'empêcher de me dire qu'il faudra bien que je trouve un moyen de l'aider d'une manière à peu près crédible. Surtout si nous allons devoir rester ensemble toute la soirée.

    « … Inutile de s'inquiéter là-dessus, je n'avais pas envie d'aller prendre un bain de foule. »

    La pensée me tirerait presque un frisson d'horreur. Quand bien même je préférerais encore être ailleurs, cela ne me dérange pas de rester ici, même si... Je m'ennuie à en mourir, il est vrai. Mais il n'y a rien à faire là-dessus.
    Sa satisfaction quant au résultat potentiel de notre mariage me tire toutefois un rictus désabusé et amusé tout à la fois. Quelquefois, il me semble incroyablement naïf.

    « … Car vous pensez vraiment qu'ils vont s'arrêter après un mariage ? »

    La pensée me fait pouffer. Je me garde de faire un commentaire ou deux, ne voulant pas révéler des histoires auxquelles j'aimerais éviter de penser, ne serait-ce que parce qu'elles sont bien désagréables. Mais je suppose que je peux compatir à ce sujet. Quand bien même ce serait beaucoup me demander de fausser la jalousie (et j'en serai bien incapable), je peux au moins lui servir d'alibi, je suppose...
    Pour autant, sa dernière remarque me tire une expression neutre. Si je saisis ce qu'il veut dire, je ne sais comment agir devant sa gêne manifeste. La mienne ne reflue pas tant que ça, étrangement, car je ne suis pas tant embarrassé que... Peu appréciateur, disons ? Je ne cacherai pas que je veux réduire le contact physique au minimum ; ce n'est pas pour rien que j'ai fait tout mon possible pour que nous n'ayons pas à nous embrasser le jour de notre mariage. J'ai même dépoussiéré mes ouvrages d'illusiomancie, c'est dire... Mais je me suis fait à l'idée que je ne pourrais pas non plus être épargné d'absolument tout, alors je le fixe avec un air peu surpris.

    Tranquillement et sans vraie gêne, je prends son bras pour lui laisser ou la possibilité de se tenir au mien, ou que je me tienne au sien. Avec le tissu, le contact n'est pas direct et je me sens encore relativement à l'aise, le fixant sans difficulté pour montrer que je ne vais pas vraiment me mettre à faire une crise pour si peu.

    « … Comme cela, ce sera suffisant ? »

    Je sais à peu près ce à quoi m'attendre. J'ai beau avoir été un très mauvais élève, on m'a tout de même enseigné les comportements et attitudes à avoir « pour mon rang », même si cela m'a toujours débecté. Alors je peux faire cela sans trop de difficultés. Cela ne me dérange pas plus que ça, notamment car je sais qu'il s'éloignera si je lui indique ; ce n'est pas quelque chose auquel j'ai été habitué. Conscient qu'il avait peut-être peur de mes réactions, je choisis donc de lui faire saisir que je me débrouille très bien et qu'il est contre-productif de s'en préoccuper. Distraitement, des feuilles de vigne passent du dessous des manches de mes robes pour venir se glisser jusqu'au poignet de l'autre et l'enserrer doucement. Juste assez pour signaler leur présence, mais discrètement.

    « Si ce n'est plus supportable, j'utiliserai une liane pour vous le signaler. »

    … Quand bien même j'espère ne pas avoir à le faire, car je ne cache pas que je risque peut-être d'avoir du mal à retenir ma force si jamais cela en arrive là. Mais je ne crois pas que ce sera le cas. Je ne suis pas sans réaliser l'utilité de cette soirée, après tout.

    « De toute façon... Nous allons devoir nous montrer, si le roi des terres de l'ouest est présent. »

    C'est-à-dire que je n'aime pas sa façon de rôder près des frontières... Et son invasion récente d'un petit pays autonome ne me rassure pas vraiment. Si je n'aime pas jouer les gros bras, autant que cela soit utile... Même si si nous ne couperons pas non plus aux danses de tout à l'heure, je suppose.

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    Même moi je n'aurais pas pensé qu'ils allaient nous laisser tranquille après la cérémonie. Ce n'était pas vraiment ce que j'avais insinué, je voulais plutôt dire qu'on ne s'était pas marié pour rien et qu'on ne pouvait justement pas se reposer uniquement sur ce qu'ils ont vu ce jour-là. Mais en plus du reste, nous allons devoir nous montrer convaincants ou alors personne ne croira qu'on fait confiance à la paix que nous essayons d'instaurer. Il faut que cela motive et donne envie aux gens de la désirer, de laisser de côté les querelles que nous avons depuis des siècles. Une nouvelle ère s'impose et nous devons faire en sorte qu'elle perdure même après notre mort. Il n'y a pas énormément d'alliances plus fortes qu'un mariage, même si ça nous coûte de devoir jouer autant la comédie.
    Au moins, même si je sais et sens qu'il a du mal, je vois bien aussi qu'il tente de faire des efforts en prenant doucement mon bras comme le ferait un couple ordinaire. Je constate qu'il n'est pas totalement ignorant des quelques comportements que peuvent avoir des amants même si... J'ai cru comprendre qu'il n'avait pas eu les meilleurs exemples chez lui. Dans mon adolescence j'ai eu l'occasion de feuilleter quelques romans de chevalerie où l'amour courtois prime, me laissant rêveur de connaître moi-même un jour des sentiments similaires. Alors je ne brille pas par mon sens de la stratégie mais je compense par mon savoir des comportements en société. Un début de sourire m'échappe, amusé mais flatté qu'il essaye quand même de faire de son mieux. J'apprécie cela chez lui.

    « Vous savez vous y faire, quand vous voulez. »

    Même si le contact me paraît tout à coup étrange -au moins autant que l'anneau qui repose désormais autour de mon doigt-, je tente de me détendre et de ne pas y songer plus que ça. Mon regard cherche Mor'hol, le roi dont il me parle. Un chef de guerre à ne pas sous-estimer ; il est puissant malgré tout, et je comprends ses inquiétudes à son sujet.

    « J'espère que nous voir ensemble le dissuadera au moins de faire une quelconque tentative d'invasion. À sa place, je ne me frotterais pas à deux royaumes comme les nôtres. »

    Je crois pour ma part que l'union fait la force alors je ne me soucie pas plus que ça de sa présence ici. Je crois qu'il est venu voir de lui-même si notre mariage était vraiment fiable ou non, histoire de tester notre fragilité.
    Les musiciens soudain changent le rythme de la musique pour les danses en duo, encourageant les invités à venir sur la piste. Mes yeux se tourne vers mon compagnon de la soirée.

    « Dites-moi... Est-ce que vous savez danser ? »

    Je vois que des personnes nous regardent déjà, comme s'ils attendaient que les monarques fassent le premier pas avant de s'y joindre eux-mêmes.

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    Perplexe devant son commentaire, je ne vois pas vraiment ce que mon comportement a de très talentueux ; je me retiens, sur l'instant, de lui demander si ses standards ne sont pas particulièrement bas. Je ne sais pas non plus si il se moque de moi, avec cette expression, alors je l'observe sans rien dire, la mine neutre. J'ai encore du mal à saisir sa manière de se comporter. Mais pour être honnête, j'ai bien du mal à faire de même avec la majeure partie des gens de ce pays. Le « choc culturel », j'imagine...

    « Je ne serais pas aussi optimiste. »

    Je me garde de commenter plus que ça sur mes méfiances que j'estime plus que légitimes pour le moment ; je ne crois pas que ce soit le bon instant. Malheureusement, les chances de réussite ne sont parfois pas ce qu'il y a de plus convaincant pour quelqu'un n'ayant pas de grands remords...
    Devant sa proposition, toutefois, je n'affiche pas grande réaction en premier lieu, me contentant d'une mine neutre et plate. Je ne suis pas un grand appréciateur des danses, mais je m'attendais à devoir m'y atteler pour cette soirée ; et au fur et à mesure que la musique prend son rythme, je peux sentir les regards se poser sur nos dos. Cela m'indiffère assez, mais je ne me leurre pas sur le fait que nous n'avons pas grand choix. Cela serait assez suspicieux.

    « … J'ai compris. »

    Hochant de la tête, je finis donc par m'avancer avant de lui tendre la main, l'incitant à la saisir et à me suivre. Les regards qui se posent sur nos mains ne me perturbent pas plus que ça ; quand bien même il n'est pas mon passe-temps favori que de me donner en spectacle, cela fait partie du principe de notre passage ici.

    « Quand bien même je sais danser, je n'ai pas l'habitude d'accepter. Je suppose que cela sera suffisamment convaincnt... »

    Tenant ma parole, d'ailleurs, mes pieds se mettent à bouger en suivant le rythme de la musique, lentement au départ. J'ai pourtant été un élève bien désastreux ; le « pire que j'ai jamais eu », dixit ma tutrice de l'époque. Il faut dire qu'en plus du fait que cela n'ait jamais été à mon goût, j'ai en plus de ça toujours eu une coordination bien piètre. Mais je me débrouille assez pour faire impression. Cela n'a pas d'autre intérêt.
    Fort heureusement, notre proximité est encore assez réduite pour que je ne sois pas excessivement mal à l'aise. Mais plus qu'autre chose, mon regard passe distraitement sur la foule de regards dont je peux percevoir le poids sur nos épaules. Certains sont dubitatifs, d'autres plus étonnés. Les chuchotements vont bon train entre les rangs.

    « … Eh bien. Je pourrais presque toucher la tension dans la pièce. »

    Ma voix laisse échapper un certain sarcasme. J'en serais presque amusé si je n'étais pas méfiant. La nouvelle de notre alliance a attiré les regards curieux des dirigeants voisins. Sans trop de surprise, elle a également redéfini les jeux de pouvoirs. En négatif comme en positif pour eux. Aujourd'hui sert majoritairement à démontrer qu'il ne s'agit pas de quelque chose de passager, alors je tolère le fait de danser pour la forme. Je n'y trouve pas grand amusement, mais... Je ne me sens pas foncièrement mal à l'aise, ce qui m'étonne depuis tout à l'heure. Je suppose que cela fait un moment que je n'ai pas eu la sensation que l'on respectait à peu près mes limites. Cela change un peu ; ce n'est pas désagréable.

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    Je dois avouer être surpris face à la façon dont il comprend assez rapidement ce qui est attendu. Sans doute est-ce quelque chose auquel il a été habitué. Bien sûr, quand on naît de sang noble ou royal, il y a toujours quelque chose qu'on attend de nous. Nous ne pouvons pas faire n'importe quoi en public ; et puisque ces soirées nous sont dédiées, nous devons être irréprochables ou au moins ne pas faire de leste. Je prends donc naturellement sa main en souriant comme si j'étais enchanté de le faire. Il est facile pour moi de sourire, après tout. Mimer des expressions de joie est très simple, mais ça a tendance me fatiguer un peu quand ce n'est pas sincère. Ce qui veut dire qu'à partir de ce moment, les jours vont me sembler désespérément longs par moments.
    Je découvre toutefois un danseur plutôt correct dans ses mouvements. Nos pas sont coordonnés, de manière cependant plutôt mécanique. Les chuchotements autour de nous commencent à se multiplier en même temps que les regards qui se sont posés sur notre duo. La majorité des invités s'est arrêté pour nous regarder, et je ne suis pas le seul à l'avoir remarqué. Mais je crois sentir de la nervosité émaner de mon comparse qui me fait part de ses observations sur la foule nous entourant. Ils sont dubitatifs, mais ça ne m'étonne guère.

    « En même temps, vous savez danser mais vous ignorez comment rendre ça naturel. »

    J'esquisse un sourire de manière amusée. J'ai promis de respecter ses distances... Nous sommes un peu trop distants, là. Quel couple danse comme ça ? Aucun. Enfin, si : ceux qui ne s'aiment pas. Si nous ne sommes pas amoureux, on doit néanmoins le faire croire à tout le monde ; et ce n'est pas comme ça qu'on y arrivera.
    Je m'éclaircis la gorge avant de me pencher vers son oreille.

    « Veuillez m'excuser pour ce que je vais faire. »

    Je n'ai pas vraiment le choix si on veut que les murmures de la salle se dissipent à notre sujet.
    Pendant que la musique accélère drastiquement sa cadence, je passe une main dans son dos pour le rapprocher de telle sorte à ce que nous soyons collés. Je suis désolé de devoir en arriver à là, mais j'espère qu'il arrivera à comprendre mes intentions. Mes gestes deviennent plus dynamiques et assurés. Un sourire heureux étire mes traits pour fausser un amusement grandissant. Me voilà qui commence à guider davantage le rythme tout en faisant attention où je mets les pieds. Autour de nous les gens sont surpris que je décide de rendre notre échange plus vivant mais bientôt j'en entends quelques uns qui battent la mesure avec leurs mains. Je nous fais faire des rondes autour de la piste, alternant les phases où ma main le lâche pour le faire tournoyer sur lui-même et celles où c'est nous qui tournons. J'ai encore de l'énergie à revendre que je dois dépenser. La nuit est loin d'être finie. C'est assez différent bien sûr de ce que j'avais imaginé mais si je dois laisser mes rêves de côté, alors autant que je me donne à fond. On frappe sur les tambours, on gratte sur les cordes, on souffle dans les flûtes. Le rythme est rapide mais ça ne me laisse pas le temps de réfléchir à ce que je fais ni à la personne avec qui je partage cette activité.
    Le manège ne dure pas longtemps. Quelques minutes seulement. Je m'arrête finalement quand la musique fait de même pour cette chanson. Pour boucler la danse, je fais pencher le monarque en arrière, le souffle court. Enfin, on s'arrête. Puis, les yeux brillants, je laisse échapper un rire et le silence retombe.
    Jusqu'à ce que quelqu'un applaudisse. Puis quelqu'un d'autre. Et bientôt ils le font presque tous. Enfin, les musiciens repartent sur une autre mélodie et les invités se mettent bientôt à former des duos à leur tour pour se défouler en s'amusant. Je me redresse, lâchant enfin le corps de Shimomura.

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    Mes sourcils se froncent. Mon expression se renferme d'un seul coup alors que son commentaire touche une corde sensible. Des étincelles d'agacement et de frustration passent dans mon regard alors que je me retiens tout juste de relâcher un commentaire sarcastique et acide, plus vexé que je ne l'aurais cru. Mais il faut dire qu'on me l'a souvent dit, que je n'avait « pas l'air naturel ». Même quand j'étais sincère, à vrai dire. Alors le sujet est sensible. Mes mains se crispent.
    Ma méfiance monte toutefois d'un coup quand il s'excuse sur ses actions à venir sans s'expliquer au préalable. Mon corps s'est raidi d'un coup net. Encore plus quand il pose une main sur ma taille pour me rapprocher complètement ; le raidissement net de mes épaules trahit le rejet complet que suscite une proximité aussi excessive pour moi. Une sensation désagréable dans la poitrine, le lierre sur mes bras s'agite, et j'hésite, sur l'instant, à l'arrête immédiatement. Mais les regards ne nous quittent plus, maintenant.
    ... Je suppose que je n'ai pas vraiment le choix.
    Résigné, mon expression se renferme. Même si le malaise imbibe maintenant chacun de mes membres et qu'un nœud pénible a pris place dans mon abdomen et que sens ma magie s'agiter de déplaisir, je ne dis rien. Au lieu de cela, mes traits se sont fermés. Mes gestes deviennent, effectivement, plus mécaniques ; je laisse mon partenaire guider le rythme. L'esprit vidé, je ne fais plus vraiment attention à ce que je fais, et pour cause. Mes pensées sont loin, et ce qui suit n'est pour moi qu'une suite de mouvements que je ne contrôle pas. Mon expression ne laisse pourtant rien transparaître. Ni le malaise, ni la nausée grandissante. Je ne saurais dire combien de temps cela a duré ; trop longtemps à mon goût. Tout ce que je sais, c'est que lorsqu'il finit par me faire pencher, ma seule pensée fut qu'il avait eu raison de le faire ainsi, puisque je crois qu'autrement, j'aurais finir par vomir.

    Je ne dis rien. Son regard est insupportable lorsqu'il ment. Sans parler de dégoût... Si, je crois que c'est un peu ça, quelque part. Cela me rappelle des souvenirs désagréables. J'aurais toutefois à le voir souvent. Pendant qu'il rit, mes yeux passent autour de nous pour observer ce qui se passe. L'expression fermée, impassible, j'observe les visages des invités et la manière dont différentes émotions passent par leurs traits. Ils ont l'air convaincus. Suffit-il donc de si peu... ? Tout cela n'avait pourtant rien de sincère. Au contraire, même. Si je dois sans doute être celui à lequel tout ça a le plus déplu, je ne doute pas que mon homologue n'y a trouvé aucun amusement. Et pourtant, malgré cela, tous ces regards posés sur nous semblent satisfaits et convaincus que tout est parfaitement « touchant ». Sans que je ne comprenne pourquoi, cela suscite dans ma poitrine un sentiment d'agacement. De frustration. Comme une vieille rancoeur que je n'arriverais pas pleinement à identifier. Comme si cela venait confirmer certaines choses que je pensais depuis un moment déjà.
    … Tout cela est d'une superficialité à en mourir. C'est... Dégoûtant.

    Mais je me tais. Au lieu de cela, j'attends que les regards s'éloignent et que la foule s'occupe pour, avec moins de délicatesse que tout à l'heure, m'éloigner aussi prestement que possible. Pour l'amour de la nature, j'en ai bien besoin. Je crois que je vais vomir, si cela continue.

    « … Ne refaites pas cela sans me prévenir au préalable. »

    Mon ton est plat. Ma voix s'est refermée toute nette. L'expressivité qui avait pointé le bout de son nez tout à l'heure a disparu. Mon regard se reporte froidement vers Aloïs, à qui je fais un signe de la main. J'ai besoin que quelqu'un m'accompagne dehors. De préférence quelqu'un d'autre que la personne en face de moi.
    Je sens que la soirée, et même les jours à venir, vont être très longs.



    « Ça, euh... Ca va mieux... ?
    - ... Merci, pour la potion.
    - C'est rien. J'en gardais pour moi, à la base, ça fait du bien à l'haleine. »


    Le médecin m'inspecte quelques secondes, avant de repartir quand je lui fais signe que tout va bien et qu'il est inutile qu'il s'inquiète de manière excessive. Ironiquement, je préférerais encore qu'il retourne batifoler avec des domestiques (quitte à me créer des ennuis) plutôt qu'il ne me surveille comme il le fait. Ce n'est pas grand chose. J'ai juste... Juste mis de l'engrais sur les rosiers. Tout cela sera très bon pour leur croissance. Mais en attendant, j'avais besoin de prendre un bol d'air sur le balcon. Je retournerai certainement vers l'intérieur dès lors qu'il sera socialement acceptable que je m'éclipse, je suppose... Mais je commence à envisager sérieusement l'option de la fausse urgence avec Aloïs ; cela me dépite toutefois de devoir utiliser mes vieilles stratégies d'adolescent à nouveau.

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    « Tous les hommes sont pareils ! J'avais bien dit qu'on ne pouvait pas compter sur lui ! Toute cette histoire de mariage était ridicule dès le départ ! »

    Il fulmine. Oser outrepasser les barrières du roi... Il en fallait, du culot, pour le faire devant lui. Ce n'est pas parce que c'est aussi un monarque qu'il doit se croire tout permis, se dit Aloïs. Laissant le médecin sans aller rejoindre la salle principale, le blondin profite de l'air du dehors en compagnie de son souverain, non sans jeter des regards à la fois inquiets et contrariés.

    « Il n'est pas trop tard pour faire marche arrière, vous savez ? Vous pouvez toujours dire que vous n'êtes plus intéressé. Mais ce princelet je vais le... ! »

    Il mime un étranglement plutôt réussi, le regard noir. Connaître Natsume et s'en occuper depuis sa naissance n'a pas rendu la pilule facile à digérer quand le mariage a été annoncé en grandes pompes. C'était devenu l'événement de l'année mais Aloïs désapprouve totalement depuis lors cette union forcée. Il est peiné de savoir que le hérisson doit supporter ça, encore plus quand on considère l'autre énergumène impliqué dans l'affaire. Lui, le cuisinier ne veut pas en entendre parler ; il ne l'aime déjà pas.

    « Est-ce que vous vous sentez mieux ?.. Ne me dites pas que vous allez y retourner, hm ?.. »

    Le regard soucieux, il tend un verre d'eau au roi pour s'enquérir de son état.


    Dernière édition par samalo le Dim 31 Jan 2021 - 1:14, édité 1 fois

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    J'admets que j'appréciais davantage le moment où je pouvais profiter d'un peu de silence. Cela me faisait du bien, après la marée de bruits et d'odeurs qui avaient agressé mes sens. Mais je dois dire que je tolère plus aisément les voix de Mikael et d'Aloïs que les autres, puisqu'elles m'accompagnent depuis la naissance. La présence de ces derniers a quelque chose de rassurante, je dois l'admettre... Pas que cela me soulage. Je n'en ai pas besoin.
    Je le laisse jurer et s'énerver, le regard fixé sur le devant du balcon, mon regard se perdant dans les paysages obscurs durant la nuit. Je peux comprendre sa frustration, même si je ne sais pas vraiment si je suis d'accord avec ses propos. Je ne m'autorise pas vraiment à y réfléchir pour le moment, même si mes pensées étaient plus claires tout à l'heure. Je n'en ai pas vraiment l'envie. Ce qui m'intéresse le plus, pour le moment, ce sont les ronces que je fais nouer autour de la balustrade, et qui m'occupent l'esprit et les sens.

    Pour autant, la question de mon chambellan me fait relever légèrement la tête. D'un signe, je lui fais comprendre que je n'ai plus besoin de boire. Malgré son énervement, son inquiétude est palpable. Je peux le sentir, rien qu'au nœud qui se forme dans sa poitrine quand il me regarde et que je peux voir de la douceur traverser ses gestes et sa voix. Pour autant... Mon expression reste encore fermée sur le moment, comme mon ton qui est mécanique.

    « … Aloïs. Faites attention à votre langage ; n'oubliez pas dans quel pays nous sommes. »

    Je ne compte pas le fustiger. Il a le droit de parler comme il veut, et j'estime que cela ne fait pas de mal tant que cela reste entre nous. Par ailleurs, je le protègerais autant que possible, mais... J'aimerais éviter d'avoir à le faire. Je ne voudrais pas qu'il ait de quelconques ennuis si jamais des oreilles indiscrètes venaient nous entendre.
    Passé ces quelques mots, toutefois, mon expression se détend à nouveau, laissant entrevoir ma fatigue. Mon regard redevient lui aussi plus naturel en se portant sur le blond, débarrassé de formalisme. Même mon ton s'est fait plus doux.

    « … Je suis désolé de te faire autant de souci. Je sais bien que tu n'es pas aidé. »

    Du vouvoiement, je suis passé au tutoiement, tout naturellement. Un glissement aisé entre deux comportements différents, quand bien même je dois admettre avoir plus de difficultés à tenir le premier sur le moment. Tout cela m'est très mécanique, mais il y a des instants ou... Je n'en sais trop rien, je suppose que le voile s'abaisse un peu. Mon regard se repose à nouveau sur les paysages extérieurs. Je les trouve bien plus beaux que cette salle de réception.

    « Mais il faudra bien que j'y retourne. Au pire des cas, nous emploierons la vieille technique des missives à finir... »

    J'essaie plus de le rassurer quelque chose en énonçant cette possibilité. Ou peut-être moi-même aussi, allez savoir...

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    Il en faut beaucoup pour faire perdre son sang-froid au chambellan du royaume Shimomura, et encore plus pour lui faire peur. Mes ses points sensibles sont très sensibles, et Natsume en est un. Très voire trop protecteur avec lui, il ne peut s'empêcher de le couver depuis que Miyu n'est plus là pour le faire. Il l'a connu avant même qu'il ne vienne au monde et l'a accompagné dès ses premiers pas, alors le cuisinier est attaché au monarque. Ce mariage ne lui a pas du tout, du tout plu en dépit de l'assassinat de Kazuo par l'un des mariés. Mais Aloïs se demande s'ils peuvent vraiment faire confiance au roi du pays voisin. Tout ceci ne lui dit rien de bon. Mais ce n'est certainement pas lui qui pourrait le terroriser, ah ça non.
    Inquiet, le blond esquisse toutefois un sourire doux face à son leader. Il resterait avec lui même s'il partait à l'autre bout du monde. Mais la résignation du hérisson à se forcer le mettait hors de lui.

    « Tout ceci est ridicule... Demandez le divorce maintenant, nous trouverons bien un autre moyen d'établir correctement cette paix ! »

    Il voulait y croire. Il ne voulait pas se dire que si le roi était arrivé à cette solution c'était qu'elle était la seule qu'il avait. Ce n'est pas possible, se dit le serviteur, toutes les options n'ont pas pu déjà être écartées... Et pourtant Natsume est quelqu'un de réfléchi qui ne prend pas de décisions à la légère, il le sait. Aloïs se sent impuissant face à ce qui arrive à son souverain...

    « Natsume ?.. Je suis désolé, pour tout à l'heure... »

    Ses sens en alerte, il relève la tête et se retourne en entendant la voix du chef Enodril. Grognant et lançant un regard mauvais, il se place près de la nymphe en bon protecteur.

    « Tss ! Arrière ! »

    Face à l'agressivité du serviteur, Samaël sursaute, n'osant pas faire un pas de plus. Surpris, il place ses mains ouvertes devant lui pour montrer qu'il n'est pas armé et attend de voir la réaction de celui qui est censé être son époux.

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    La douceur dans son ton me détend un peu, je dois l'avouer. La présence d'Aloïs a quelque chose de rassurante, même lorsque je l'entends jurer avec vulgarité. Cela me fait souvent rire. Mais son inquiétude se mêle à ce que je qualifierais de naïveté quand il m'intime d'exiger le divorce au plus vite ; mon regard se pare d'une fatigue que je ne cache pas. Ce n'est pas aussi simple. J'estime que, quand bien même j'ai le choix libre et la possibilité de le faire, je ne peux pas vraiment risquer de troubler la paix pour si peu. Ce n'est pas le rôle d'un roi de se comporter comme un enfant capricieux.

    « J'ai vu bien pire, et tu le sais. »

    Un sourire désabusé et légèrement amer s'étire sur mes lèvres. La période où j'étais encore prince n'est pas si lointaine, et lui comme moi en gardons un souvenir plus que vif. Alors j'ai bien du mal à juger légitime d'être mal à l'aise dans ma situation quand je fais la comparaison – sans vraiment me rendre à compte que cette dernière ne veut rien dire.
    Mais alors que j'allais indiquer au blond que j'allais repartir, la voix d'Enodril me fit relever la tête. Si mes épaules se haussent par réflexe, m'attendant à des reproches, je suis en premier lieu perplexe de l'entendre s'excuser. Les sourcils froncés, le jaugeant du regard, c'est toutefois les grognements d'Aloïs qui résonnent en premier et qui... Ne m'étonnent guère. Aloïs n'a jamais caché sa méfiance et sa répugnance à son propos. Je suppose que son comportement fait sens, mais...

    « … Aloïs. Du calme. »

    Mon ton est plus doux, moins ferme. Plus personnel. Je ne peux pas vraiment le laisser s'énerver de cette façon ; d'autant plus que je ne me sens pas particulièrement menacé et que j'estime qu'il s'inquiète peut-être un peu excessivement sur le moment.
    Pour autant, je finis par me redresser du balcon où je m'appuyais ; les ronces qui s'y étaient agglutinées se défont dès lors que je m'éloigne. Ne voyant pas vraiment pourquoi mon homologue serait venu autrement que pour me dire qu'il faudrait que j'y retourne – car c'est la pensée que j'ai sur l'instant, mon expression se referme au même moment que mon ton se fait de nouveau aussi neutre que possible.

    « Je vais revenir. Je prenais juste l'air quelques instants. »

    Un coup d'oeil vers Mikael me permet de m'assurer qu'il retiendra Aloïs au besoin, dans la douceur – car je n'ai pas vraiment envie d'avoir à le faire. J'ai, toutefois, bien hâte de pouvoir retourner m'enfermer dans mon travail, ironiquement.

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