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    Le dragon protecteur d'Yggdrasil s'est réveillé. Au milieu du mariage de Gaston et Camélia, souverains d'Altissia et Caldissia, la statue figée depuis un millénaire a quitté son socle pour arpenter le ciel de la cité. De son rugissement puissant, il a fait appel à des monstres sauvages pour encercler Yggdrasil, rendant les entrées et sorties en son sein impossibles. Progressivement, les vivres viennent à manquer et les stocks se vident sans pouvoir se remplir...
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    Des fleurs sont bien maigres, mais c'est tout ce que nous pouvons offrir à une tombe, de toute façon. J'aurais souhaité pouvoir en faire davantage. Mais rien ne pourra redonner la vie à ce père que j'ai tant aimé, et qui m'a laissé un fardeau : celui de protéger la couronne. J'ai tant envie de la faire tomber, ceci dit. De trancher cette tête qui nous regarde avec mépris. De piétiner cette couronne...
    Ou alors...
    De la donner à quelqu'un qui la mérite plus.

    Les portes du château me sont toutes ouvertes. En me voyant, c'est bien normal que les gardes me saluent avec respect ; je l'ai mérité. J'ai démontré que j'étais capable d'être un chevalier digne de ce nom, et je me suis montré jusque là loyal au roi actuel pour endormir les méfiances et me moquer des rêves. On s'attend probablement à ce que je continue de monter en grade pour atteindre le but que je m'étais fixé il y a des années : être le meilleur, devenir l'ombre du souverain. Un honneur qui n'est pas donné à tout le monde. Mais ce n'est guère cet héritier que je désire servir.

    Ma main se pose sur la porte au bois finement détaillé. Les gardes, pourtant très à cheval et tendu, m'ont laissé passer aisément et sans protester. Je suis censé rester au chevet du prince en permanence. Corvée s'il en était autrefois. Aujourd'hui, je m'échappe volontiers auprès de lui dès que l'occasion se présente, y voyant là un échappatoire au milieu de cette prison dorée insupportable et étouffante. J'ai depuis longtemps perdu le désir d'idéal et de justice qui m'animait. Je voulais défendre ce royaume au péril de ma vie. Désormais, je souhaite attenter à la vie de son monarque, comme si ce n'était pas le pire crime qui pourrait être commis. Mais personne n'en sait rien. Je préserve très secrètement cette envie ; je n'ai pas sacrifié des années à faire le toutou obéissant pour voir mes plans être réduits à néant. Si vous saviez comme il est difficile de se faire accepter de ce crétin de Kazuo... C'est bien parce que j'ai fait la carpette que j'ai pu parvenir à être assigné à la tutelle de son fils, pour mon plus grand avantage.
    Attendant que l'on me donne la permission d'entrer après avoir toqué à la porte, je fais signe aux gardes d'aller vérifier plus loin qu'il n'y ait pas d'intrus et referme l'entrée derrière moi. Après avoir vérifié que les soldats ont bien décampé, je pousse un soupir de soulagement. Je me tourne vers le propriétaire des appartements que je salue d'une courbette.

    « Altesse... »

    Mon regard se fait moins dur. Allez savoir comment Natsume a réussi à être si différent de son père. Sans doute la présence de la défunte reine qui l'a permis, même si cela reste un miracle, à mon sens, qu'il n'ait pas suivi le même chemin que son géniteur ; vu en plus l'influence de la mamie derrière... Enfin.

    « La sentence n'a pas encore été prononcée. »

    Je suis venu au rapport, faisant le lien entre ce qui se dit au dehors et ce qui traverse ces quatre murs qui, bien que de tailles raisonnables, vu le rang du possesseur, n'en est pas moins suffocant.

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    Les fleurs des jardins ont commencé à éclore. Le printemps est arrivé plus tôt que prévu, mais je peux distinguer à ma fenêtre les couleurs des premiers bourgeonnements. Je les avais fait planter moi-même : mais d'ici, je peux à peine les voir.
    Mon regard s'est perdu dans les champs pendant un long moment. La tour est calme. Comme d'ordinaire, vu l'absence de vie de ces lieux. Le nombre de personnes ayant le droit de s'en rapprocher depuis la mort de Mère s'est tellement amenuisé que je peux presque entendre les bruits de pas à plusieurs couloirs de là, les quelques rares fois où certains s'y aventurent. J'ai appris à reconnaître ceux que j'entends actuellement, par exemple ; et c'est sans doute pour cela que je ne tourne pas tout de suite le dos comme j'aurais le réflexe de le faire d'ordinaire. Les murs ont des oreilles, et surtout des couteaux dans les mains. Je ne l'ai appris que trop vite lorsque l'on m'a pris ma génitrice.

    Je ne bouge pas tout de suite lorsque la porte s'ouvre. Je garde un dernier œil vers l'extérieur, ravalant le sentiment de frustration et de colère dans ma poitrine ; il ne me sert à rien à l'heure actuelle. Calmement, je fais quelques pas vers ma table où se trouve ma tasse de thé, et celle que j'ai laissé vide au cas où mon « invité » aurait soif. Avec lenteur, je prends le temps de m'asseoir pour venir boire en silence, sans répondre au départ à ce qu'il me dit.

    « Je vois. Merci. »

    Je ne suis pas surpris en soi. Quand bien même je ne suis qu'un pion agaçant aux yeux de mon géniteur, ce dernier ne peut pas me châtier comme il ne se gêne pas pour le faire avec d'autres, même lorsque l'offense serait inacceptable si commise par quelqu'un d'autre. Je ne regrette pas, il faut le dire. Qu'il me fasse vivre sous surveillance permanente et en isolation est une chose : qu'il veuille marier ma sœur à un porc de la pire espèce en était une autre. Je ne me suis pas excusé d'avoir ridiculisé et insulté ce crétin, et encore moins d'avoir laissé mon géniteur sous le coup de l'humiliation de cette alliance ratée. Même lorsque les gardes m'avaient saisi et qu'on m'avait promis qu'il y aurait réplique, je n'avais pas ressenti de regret.
    J'ai toutefois bien conscience que cela finira par arriver. La torture, sûrement. Je ne suis plus à ça près : mon corps en porte déjà les marques, de toute façon. Ils veuillent juste à ce que mon visage et mes mains ne soient pas touchés, et que je puisse me déplacer convenablement. Comme un objet qu'on mettrait sur une étagère, il ne faut pas que j'ai l'air trop endommagé. Je me suis de toute façon tellement dépouillé de ce à quoi je pouvais tenir que je ne vois pas ce dont il pourrait me priver : j'ai perdu l'accès aux jardins à la mort de Mère, puis au peu de liberté que je pouvais avoir lorsqu'on me mit sous surveillance permanente.

    « Cela ne tardera pas. Il ne pourra pas se permettre de laisser passer cela trop longtemps. »

    Mon ton est calme, posé, alors que je repose ma tasse en relevant brièvement le regard vers mon interlocuteur.

    « Je parierai sur demain matin. »

    Ou quelque chose du genre. Mon géniteur n'a jamais eu le moindre délicatesse, et la grandeur de son ego n'a d'égale que sa propension à agir brutalement et stupidement lorsque sa fierté est heurtée. Sa peur panique est d'autant plus ridicule qu'il s'agit de la raison de la présence du chevalier en face de moi à la base, d'ailleurs. Ne supportant pas l'idée même que je puisse un jour fomenter contre lui, il avait décidé que je serais accompagné en permanence, « pour ma protection », avait-il déclaré, suite à l'assassinat de Mère. En réalité, il s'agissait simplement de surveiller le moindre de mes faits et gestes.
    Il faut dire que je dispose encore d'un capital de sympathie non négligeable chez les nobles, qui augmente un peu plus à chacune de ses décisions qui les révolte. Ils ignorent que je les méprise tout autant, mais je sais au moins tenir ma langue et mes mots, de mon côté. Mon père, lui, est un incapable en politique ; comme dans d'autres domaines, d'ailleurs, mais par conséquent, j'apparais comme étant bien plus acceptable aux yeux des autres. Alors cela ne m'avait pas surpris, qu'il me fasse surveiller.

    En soi, la perte totale d'intimité n'était pas la chose qui m'agaçait le plus ; c'était davantage l'idée de devoir tolérer un chien de garde de mon géniteur en permanence dans mon espace personnel, qui m'irritait. J'eus vite fait de découvrir, toutefois, que ce chien de garde-là était peut-être plus proche de mordre son maître que ce dernier ne le croyait.

    « Votre mine est bien sombre. »

    Ma voix prend le ton du commentaire, mais c'est davantage pour faire remarquer que je crois sentir une tension chez lui. J'ai appris à lire ses expressions au fil du temps ; au départ car c'était dans mon intérêt, m'en méfiant comme de la peste, et ensuite car j'eus pris l'habitude, à force. Sa présence devint plus supportable au fil du temps : et pas forcément du fait de l'usure, au contraire.

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    Il est beaucoup trop calme pour quelqu'un qui va se faire punir, sans doute assez sévèrement. Mais je suppose que l'habitude joue beaucoup. Le roi Kazuo n'en est pas à son premier coup d'essai, après tout ; quand on est accoutumé, ça ne doit plus faire ni chaud ni froid. Si je n'en montre rien, ma poitrine se serre un peu en imaginant que le souverain et ses proches doivent comploter en ce moment même pour savoir quelle sera la 'correction' la plus appropriée.
    Je suis encore légèrement surpris par l'intérêt qu'il me porte de temps à autre, aussi léger soit-il. Juste certaines remarques qui témoignent de son observation ont suffit à me dire il y a plusieurs semaines que j'avais peu de raisons de m'inquiéter quant au fait qu'il puisse suivre les traces de son père ; les nombreux châtiments qui lui ont été octroyés auraient dû en outre me mettre la puce à l'oreille dès le départ. Quelqu'un qui se rebelle contre Kazuo ne peut qu'être considéré comme un allié. Je n'aurais pas cru toutefois au départ sentir une telle véhémence chez son fils, mais il faut croire qu'il n'est même pas fichu de s'occuper de ses propres gosses. Pas comme si c'était bien étonnant, cela dit.

    « Il y a bien longtemps que j'ai perdu des raisons de sourire. »

    Je l'ai probablement dit avec un peu trop de sévérité dans la voix, mais c'est sorti d'une traite avec une rigidité dans le timbre qui m'a moi-même surpris. Il est normal que j'ai une mine sombre, après tout. Comment avoir le sourire aux lèvres avec tout ce qui arrive au sein du royaume ? Il faudrait être masochiste pour trouver son bonheur là-dedans. Si l'interrogation me parut tout d'abord idiote tant elle était évidente, je me détends pourtant, conscient que le but n'était pas de se moquer de moi, en théorie. Peut-être qu'il est tout simplement... inquiet pour moi. Je n'avais pas envisagé cette possibilité auparavant.

    « Veuillez m'excuser. Vous n'y êtes pour rien. »

    Je pousse un soupir, fatigué, le regard plus morne. Je devrais m'estimer chanceux, en un sens. Les responsabilités que je possède sont bien moindres en terme d'importance que celles qui pèsent sur les épaules de Natsume. Il prend des risques, en s'acharnant à aller contre la volonté de son géniteur. Mais c'est ce qui le rend admirable.

    « Vous n'avez pas l'air d'avoir peur de ce qui vous attend. »

    Lui aussi est plutôt calme, en dépit des circonstances. Un peu trop. On a bien remarqué qu'il savait mordre quand il voulait, cependant.
    En silence, je m'approche de la forêt d'où on peut voir les jardins dans lesquels personne n'a le droit de pénétrer. Ils se meurent depuis un peu plus chaque jour. Je crois que c'était la reine, qui les entretenait.

    « Qu'est-ce que vous pensez que ce sera, alors ? »

    Ironiquement, je n'ai aucun mal à dire ce que je pense avec Natsume, quand bien même mes propos peuvent parfois dépasser ma pensée sous le coup de l'impulsion. Une part de moi se méfie encore parfois qu'il devienne fou, lui aussi, mais une autre s'est attendri de son tempérament modéré en ma présence et surtout de ses blessures émotionnelles que je crois percevoir dans ses moments de faiblesse et de relâche.

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    [quote="Segnif"]

    Quelque part, je ne suis pas surpris de ce qu'il me dit. Je suis plus étonné qu'autre chose qu'il l'ait prononcé ; je m'arrête un instant, gardant mon regard planté sur son visage, sans ciller sur l'instant. Qu'il soit aussi honnête tend à me surprendre, puisqu'il ne l'est pas d'ordinaire. Il s'agit bien du moment où je le trouve le plus agréable, ironiquement. Un peu de franchise et d'honnêteté entre ces murs n'est pas désagréable, loin de là. C'est même une des rares choses qui ne m'agacent pas.

    « Non. Vous avez le droit. »

    Je préfère bien ça aux grandes tirades faussement joyeuses des quelques nobles que j'ai le « privilège » de voir (comprenez, qu'on me force à rencontrer). Et c'est au moins un peu distrayant, croyez-moi, contrairement à ce qui m'attend demain. Je prends d'ailleurs sa question littéralement, reprenant une gorgée de mon thé comme si de rien n'était.  

    « De la torture, sûrement. J'imagine qu'ils commenceront avec celui de la planche à eau, puis ce sera les vieilles habitudes. Les couteaux, et autres. L'important pour eux est juste que je reste présentable, après tout. »

    Je suis calme, il est vrai. Mais il est difficile d'avoir peur de ce qu'on connaît, justement, quand bien même je sais que la douleur n'est pas quelque chose à prendre à la légère. J'ai toutefois une bonne raison de ne pas trembler des jambes, qui me rend, quelque part, plutôt insensible à la crainte que cela pourrait me causer.

    « Ma peur serait bien la seule chose qui leur ferait plaisir. »

    Je prends calmement une gorgée de mon thé en le disant, mais je suis sérieux.

    « Et je n'aime pas leur faire plaisir. »

    C'est bien la chose qui agace le plus mon géniteur, de ne pas me retrouver en train de quémander sa pitié à genoux, et de se rendre compte qu'il a plus à perdre à continuer de m'endommager que d'entendre des excuses. Je repose ma tasse, brièvement. Mon regard passe une seconde dans le reflet qui s'y trouve, comme si le prince parfaitement propre et soigné que je voyais était un total étranger.

    « Je ne suis pas le plus à plaindre, loin de là. Beaucoup sont moins chanceux. Je n'aurais pas grand honneur, si je me mettais à trembler des genoux quand d'autres meurent tous les jours. »

    On ne peut pas prétendre vouloir changer les choses en embrassant ce genre de choses car l'on craint pour sa petite personne. C'est en tous cas ce qui me pousse à ne pas crier, à ne pas chercher à ce que cela s'arrête par tous les moyens lorsque la douleur peut survenir. Si je veux un jour espérer changer ce royaume, ce ne sera pas ainsi. Mais... Je dois avouer qu'un désir moins pur m'anime.

    « Et puis... »

    Mon doigt tapote sur le bord de la tasse. Mes lèvres se tordent en un léger rictus mêlant désabus et amusement.

    « Leur expression mal à l'aise est très drôle à voir.  »

    Je ne dirais pas que je n'ai pas peur. Je dirais que je m'interdis de la ressentir, de la laisser passer dans mon corps et de me contrôler. Hors de question d'être un pleutre qui se cache derrière ses gardes et le soutien des religieux, de n'avoir aucune dignité ou même ersatz de valeur. Je veux qu'ils se rendent compte que dès lors que viendra la mort de mon père, leur règne sera terminé, à eux aussi. Je ne crois pas, au fond, être celui qui a le plus de raisons d'avoir peur.

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    En dépit de nos différences, j'ai parfois l'impression que le prince est le seul à me comprendre. À m'autoriser aussi à être moi-même. Je ne me permets pas beaucoup d'écarts, mais il ne m'en tient presque jamais rigueur même quand je m'emporte. Et quoiqu'il arrive, j'ai l'impression qu'il sait toujours garder un calme impeccable. Sauf lorsque ça concerne Kazuo. Mais l'évocation de quelque torture ne semble nullement le déstabiliser, comme s'il s'y était préparé. Il a dû savoir les conséquences que sa colère l'autre jour engendrerait, même si le prix reste lourd.
    La satisfaction est-elle si grande que cela lui permet d'oublier le reste ?
    Sûrement. Quand j'y pense, moi-même je serais prêt à me faire torturer si je pouvais au moins lui infliger une pareille humiliation. Ce serait sans doute particulièrement jouissif ; mais je dois faire profil bas pour le moment, si je veux avoir une chance de le tuer un jour sans qu'on ne me découvre (de préférence). Natsume me verrait-il différemment, s'il savait que je serais prêt à assassiner son géniteur ?
    Même s'il ne l'aime pas, il pourrait me trouver fou. Mais c'est tout à son honneur de résister juste pour ne pas leur donner ce qu'ils attendent.
    Je respecte ça. Il n'a pas à aller aussi loin, mais il le fait quand même. Et je ne peux pas dire que ça ne m'a pas fait du bien de le voir se moquer ouvertement le roi en détruisant à néant les projets qu'il avait pour sa fille. Pour une personne de sang royal, il est bien lucide, je trouve. J'ignorais qu'il se préoccupait à ce point du sort des autres. Il a conscience de sa condition et du fait qu'il y a plus misérable que lui. C'est assez rare. Je sais qu'il ne dit pas ça pour m'amadouer. En un sens, je ne suis guère étonné, lorsque j'y réfléchis davantage. C'est toujours ce qu'a montré son comportement, après tout. S'il peut insulter son père ainsi, c'est qu'il a plus de courage et de noblesse que lui, en vérité. Et si je ne souris pas complètement à sa remarque, il est vrai que je dois me retenir de rire d'ordinaire lorsque Kazuo se prend de belles roustes verbales. Même si je ne vois pas pourquoi il s'embêterait à faire tout ça, dans ce cas.

    « Vous garder présentable ?.. »

    À la place de Kazuo, pour bien des raisons logiques, je ne me risquerais pas à me faire détester de mes propres successeurs. Ou alors c'est en attendant de trouver un moyen de les remplacer.

    « Je me demande bien pourquoi ils s'en préoccupent. Un jour, il faudra bien que vous héritiez de la couronne. Qu'ont-ils à gagner, à continuer de vous tourmenter ? »

    Est-ce qu'ils n'ont pas un autre but, après tout ? Peut-être... se débarrasser définitivement de lui ? D'une manière à ne pas éveiller les soupçons. Même si du coup ma présence de garde du corps ne tient plus la route, car il ne se serait pas ennuyé ainsi ; sauf si moi aussi je l'ennuie.

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    Son interrogation me surprendrait si je n'avais pas pris l'habitude de le voir parler plus librement en ma présence. Cela me flatte, quelque part, même si je me force à me rappeler que je suis supposé garder un peu de méfiance envers lui ; quelque chose qui est bien plus difficile qu'avec les autres, je dois l'avouer. Mais sa curiosité sincère et la lucidité dont il fait preuve sont rafraîchissantes, tant elles sont rares. En dépit de son arrogance d'apparence, il est plus prompt à entendre autrui que ne le sont tous les nobles pompeux que j'entends déblatérer dès lors que j'arrive à sortir de cette pièce. Une moue mêlant amusement et un petit quelque chose d'autre, je prends le temps de servir un peu de thé dans la tasse en face de moi, rapprochant la diligence de desserts à côté.

    « Asseyez-vous. Vous méritez bien un peu de repos. »

    Je n'aime pas trop que l'on me parle en restant debout pendant que je suis assis. Je sais qu'il s'agit d'une « marque de respect », mais je ne vois pas vraiment quel respect je mérite, et cela m'agace plus qu'autre chose. Puis, pour être tout à fait honnête, supporter mon père comme il le fait mérite au moins quelques sucreries ; Aloïs a le mérite d'en faire d'excellentes, que je n'arrive malheureusement jamais à terminer seul.
    Mais sa question, en soi, mérite bien une réponse. Cela n'a rien d'étonnant à mes yeux car je trouve que cela s'ancre parfaitement dans une logique qui me répugne, mais qui est consistante. Mon regard se fait plus sombre.

    « Pour la même raison qui les fait frapper leurs chiens jusqu'à ce qu'ils apprennent à se tenir et tremblent en les voyant. »

    Cela n'a rien de bien différent. La cruauté, au delà du simple plaisir du sadisme et de la domination envers autrui, n'est pas complexe, bien au contraire. Il s'agit toujours du même schéma ; et je le connais parfaitement. Jusqu'au bout des ongles, même. L'avantage d'avoir vécu plongé dedans depuis ma naissance, c'est que tout cela m'apparaît comme parfaitement clair : et cela me répugne d'autant plus.

    « Ils espèrent que le souvenir de la douleur me fera assez peur pour que je craigne un coup d'état une fois sur le trône. Ils n'obtiendront rien de moi par l'intérêt, la flatterie ou le respect, alors ils veulent le faire par la terreur. »

    C'est assez évident. Ce que craignent les nobles, au delà du roi, c'est de ne pas être craint par le roi, justement. Alors ils veulent que la douleur inscrite dans ma peau me fasse trembler rien qu'à l'idée une fois que je serai sur le trône : mais l'idée même me répugne. Hors de question de baisser la tête. Si jamais je suis un jour couronné (nous ne sommes pas à l'abri d'un assassinat réussi), il est hors de question que ce royaume ne change pas car mes genoux flagelleraient.

    « Avez-vous vu le regard de leurs épouses et de leurs serviteurs... ? C'est exactement le même. Tout ce qu'ils connaissent et veulent, c'est être craint pour conserver leur pouvoir. »

    Ma voix ne peut pas s'empêcher de laisser transparaître mon dégoût tandis que mon regard s'obscurcit. Le porc à qui mon géniteur voulait laisser ma sœur se serait comporté de la même façon qu'avec ses serfs. Ma prise se crispe sur la poignée sous le coup de la colère. Ils me donnent envie de vomir, tous autant qu'ils sont.

    « C'est bien la seule manière que j'ai de leur faire peur actuellement, de leur faire réaliser qu'au fond, le temps de leur pouvoir est compté. »

    Je repose ma tasse.

    « Mais vous devez déjà le comprendre. La crainte est la seule chose qui fait tenir l'armée pour mon père. Du moins, c'est ce qu'il espère.  »

    Je souris calmement, amusé rien qu'à l'idée de savoir qu'au fond, il n'est qu'un pleutre qui se cacherait dans l'ombre de son trône, si il le pouvait. Autant de répression ne vient pas de quelqu'un qui pense que son pouvoir est stable : et je sais que je ne suis pas le seul à le remarquer. Distraitement, je prends un macaron pour venir le croquer, comme si de rien n'était.

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    Je retiens mon souffle, n'osant pas faire un pas en avant. Je suis encore un peu surpris de l'attention qu'il me porte -si on peut appeler ça comme ça- ou plus généralement de la façon dont il me traite en dépit du fait que je sois un peu son 'chien de garde' obligatoire. Mais même avec moi, il a toujours gardé ce calme qui le caractérise lorsqu'il n'est pas avec son père. Hésitant d'abord, je me jugerais toutefois impoli de refuser sa proposition. C'est timidement que je m'approche et que je m'exécute, m'asseyant en face de lui sans toutefois être particulièrement tout à fait à l'aise. S'il a ce côté rebelle qui n'est pas déplaisant du tout, il est toutefois bien différent de ce qu'on pourrait imaginer d'un prince qui aurait le sang de Kazuo. Si on peut y voir une petite ressemblance physique, il a pourtant davantage hérité de la défunte reine. Sans y prendre garde, je le détaille peut-être un peu trop, analysant ses traits nobles auxquels je ne faisais pas particulièrement attention auparavant. Mais à force, de trop m'attarder à ces instants de contemplation, j'ai l'impression de pouvoir entendre les battements de mon cœur taper plus fort.
    Je n'aurais pas osé comparer le traitement des chiens à celui du prince, mais les deux se rejoignent, en fin de compte. Peut-être que le roi veut tenter de le dresser à la manière d'un animal. Mais ce n'est pas un chien, qu'il a en face de lui. C'est un loup. Alors je saisis, en effet, un peu mieux le comportement de Natsume. Ils ne peuvent pas se débarrasser de lui, sinon ils l'auraient fait depuis longtemps. C'est lui, l'héritier légitime, et je suppose que sa stratégie c'est de leur faire peur à leur tour en leur faisant saisir que leurs manigances ne marcheront pas sur lui. Je considère quand même que c'est idiot de diriger par la crainte. Cette dernière, à mon sens, finit inévitablement par amener une haine de plus en plus grandissante. Et Kazuo n'a pas l'air assez malin pour avoir des plans de secours au cas où ses propres alliés se retourneraient contre lui. J'espère, néanmoins, que nous n'arriveront pas à ce stade ou du moins que ce sera prochainement que l'on pourra voir sa tête tomber. Au sens littéral.

    « Je comprends ce qu'il fait mais je n'en vois pas logique. A sa place, c'est de vous dont je me méfierais le plus. Je ne vous imagine pas ployer sous ses exigences, après tant de résistance. »

    S'il le faisait, par ailleurs, je serais bien déçu. Si jamais un second Kazuo vient à naître, je n'aurais pas d'autres choix, moi aussi, de changer de camp et de lever mon épée pour l'abattre sur leur lignée. Mais je n'ai pas peur de ça, personnellement. Il a quelque chose dans le regard qui me fait dire qu'on peut être serein. Et si je n'étais pas convaincu, je me rappelle alors des nombreuses séances punitives qu'on lui a infligé et qui n'ont pas suffit à le faire obéir. Je me méfiais profondément de lui, au début. Désormais... Je le trouve admirable et même plutôt courageux. Il n'a pas l'air d'avoir peur, lui non plus. Et s'il faisait ça uniquement pour son propre bien, j'imagine qu'il aurait joué le jeu de Kazuo et qu'il aurait préféré maintenir sa vie et son état plutôt que celui du royaume. Si j'étais à sa place et que je me trouvais égoïste, je n'aurais pas hésité à faire tout ce que le roi me demandait de faire, en tout cas. J'ai envie de croire, alors, que Natsume... Que Son Altesse, contrairement à ce qu'on pourrait croire en vue de son physique, possède une certaine force mentale plutôt difficile à briser.

    « Si un jour... »

    Mon regard s'est détourné de lui. J'ai du mal ces derniers temps à pleinement soutenir le sien sans me retrouver troublé par quelque chose d'invisible qui me fait hésiter.

    « Le jour où vous monterez sur le trône, qu'est-ce que vous pourrez changer à tout cela ? Les dommages qu'il a causé pourraient-ils être réparés ? »

    Je préfère me concentrer sur les jardins que l'on peut voir à travers les fenêtres, comme si les fleurs au milieu de ces derniers représentaient son peuple, impatient de le voir agir pour soulever le souverain actuel.

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    « Ça n'a rien de logique. C'est juste un caprice de puissant. Puis... C'est bien car il a peur que vous êtes là. »

    Ma voix est désabusée, mon rictus est sardonique. C'est ridicule, mais j'ai bien du mal à en rire quand j'en vois les conséquences. Quelque part, heureusement qu'il a été trop stupide pour ne pas se rendre compte que le « chien de garde » (le terme me dégoûte pourtant lorsque l'on parle de mon interlocuteur) qu'il a collé à ma surveillance ne l'appréciait pas comme il aurait pu le croire. Mais la stupidité de mon géniteur n'est pas une nouvelle : il est bien l'illustration parfaite de ce qui cloche avec ce pays.
    Une stupidité qui n'est pas partagée par le chevalier en face de moi, d'ailleurs, loin de là, ce qui me plaît beaucoup. Devant sa question, je ne bouge pas, tenant toujours ma tasse levée comme si j'allais me mettre à boire, mais je ne le fais pas. Au lieu de ça, je la repose calmement, la mine plus sérieuse et fermée.

    « Je ne peux pas réparer ce qui s'est passé. Les personnes mortes ne reviendront pas à la vie. »

    Maman ne reviendra pas. Mon oncle Karl non plus. Toutes les personnes que j'ai vu passer et disparaître en un coup de vent également ; et toutes celles que j'ai vu disparaître avec fracas sur la place publique aussi. Alors, dans le fond, l'idée de « réparation », même si je peux l'utiliser parfois par défaut, me met mal à l'aise. C'est faux. Il n'y aura jamais rien que je puisse faire qui réparera ce qui s'est passé.

    « Et des compensations ou des excuses ont bien peu de valeur. »

    Si l'on se contentait de s'excuser envers moi, en tous cas, je serais furieux. Ce n'est pas ça, que je veux.

    « La seule chose que je puisse faire, c'est m'assurer que tout cela ne se reproduise jamais. Et pas simplement en le promettant. »

    Quand bien même je tiendrais parole, cela ne veut pas dire que mes éventuels successeurs le feraient. Et je serais bien stupide et lâche de croire qu'il suffirait de redonner le problème aux générations d'après : l'idée même me dégoûte. Mon regard s'affermit, se fait plus sombre, plus dur. Plus déterminé, aussi.

    « Ce pays doit changer. Ceux qui le dirigent en premier. De gré, ou de force. »

    Je ne compte pas commettre de meurtres de masse, ne vous méprenez pas. Mais il faudra les mettre en situation d'incapacité de refuser. De la même manière, je ne peux pas non plus prendre tous les pouvoirs : ne serait-ce que parce qu'à ma mort, le problème se poserait de nouveau. Et de toute façon...

    « Mais je ne peux pas le faire seul. »

    Mon regard se relève, calmement, pour se poser de celui de mon interlocuteur. Je ne dis rien d'autre. Je n'ai pas besoin de le faire, après tout : je crois que c'est assez clair pour ça. Et dans le fond, je ne fais qu'énoncer la vérité. Un roi n'est rien, si ce n'est le reflet de ceux qu'il dirige car il eut la chance de bien naître : et cela, contrairement à mon père, je ne l'oublie pas. Idéalement, j'aimerais qu'il n'y en ait plus. Mais ce n'est pas le sujet aujourd'hui.
    Le sujet, c'est celui que je pose sans le dire maintenant, ne déviant pas mon regard de celui, étrangement fascinant, du chevalier en face de moi, comme pour sonder sa réaction et son comportement. Je suis toutefois sincèrement convaincu que je ne me trompe pas.

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    Il est vrai que ma présence aux côtés de Natsume n'a rien d'anodin. Cela m'a bien fait rire, quand j'ai compris que le roi avait peur de son propre fils au point qu'il lui assigne un soldat de surveillance. Même alors, je préférais toutefois servir le prince plutôt que son géniteur, et aujourd'hui cela n'a jamais été aussi vrai. Alors quelque part, je remercie le ciel de m'avoir donné un poste certes peu dynamique mais qui a pu me permettre de mieux cerner le futur héritier. 'Cerner' reste toutefois un mot délicat car j'ai parfois l'impression de ne pas arriver à le comprendre comme je le voudrais. Il y a du moins pas mal de choses que j'ignore à son sujet, en dépit du fait que de vagues souvenirs me sont remontés lorsque je l'ai revu pour la première fois de près. Proche de la reine quand elle était vivante, mon père me l'avait présenté personnellement. Le prince, à ce moment-là, se réfugiait souvent dans les robes de sa mère. Si Papa voulait que je joue avec lui, je le trouvais pas très drôle, à ce moment-là.
    'Sois gentil avec Son Altesse.'
    Sans doute qu'il croyait en la progéniture de son amie, après tout. Ironiquement, il n'aura pas eu tort, au final. J'avoue que cela m'aurait déçu que j'ai à me débarrasser aussi de lui, par rapport à la foi que mon père conservait chez ce gamin à l'époque. Je commence à comprendre pourquoi il m'a dit ça. Pourquoi, en dépit du mépris de Kazuo envers son peuple, j'ai continué à me dire qu'un autre pourrait prendre sa place et remettre le royaume sur pied. Cela reste aussi très drôle que ce soit moi qui ait été choisi pour ce genre de boulot.

    Au moins, il est lucide. J'oublie parfois que ce n'est pas la reine d'un royaume qu'il a perdu ; c'est sa propre mère. Malgré nos différences, il y a des douleurs que nous pouvons partager. Des objectifs à atteindre ensemble. Lorsqu'il me promet de faire en sorte que la situation chance, je sais que ce ne sont pas des paroles en l'air. J'ai été témoin à de nombreuses reprises de sa volonté, et elle est surprenamment forte. Cela me redonne un peu espoir, à vrai dire. Puisque Natsume est toujours en vie, c'est probablement qu'il est destiné à régner un jour. Tout n'est pas encore perdu, alors. Je veux croire que les choses peuvent changer ; que l'on tient une chance de faire pencher la balance et mettre un terme à la tyrannie de ce taré. Et on peut dire que le principal concerné est l'allié de choix par excellence, connaissant ses capacités mais aussi ses limites.

    « Huh ?.. »

    Si j'avais accepté la tasse de thé, je l'aurais probablement craché. Mes joues ont pris des couleurs, alors que je croise son regard posé sur moi. Je déglutis, ne saisissant pas pourquoi cela m'intimide tout à coup. J'ai pourtant affronté de terribles adversaires, mais son attention sur moi a le don de me faire un drôle d'effet. Pas déplaisant, cela dit, juste étrange.

    « C'est une demande ? »

    Si je n'ai pas mal compris, il a pensé à la même chose que moi et souhaite que nous collaborions réellement ensemble. Mais cela vaut le coup de poser quand même la question, pour être sûr que je ne me fasse pas d'illusion. Je ne croyais pas que c'était possible, mais je désire faire confiance à mon père et laisser notre destin entre les mains du dauphin. Tout n'est pas perdu. Moi qui pensais devoir faire la tâche seul, je ne pouvais rêver meilleur complice. Car je crois bien que nous avons les mêmes idées en tête, en fin de compte.

    « Je suis bien censé vous obéir, de toute façon. »

    Je souris doucement d'un air amusé, jouant sur la situation. Ce n'est pas un ordre qu'il m'a donné, et j'en ai conscience, mais ça ne m'empêche pas de m'amuser avec nos rôles respectifs, après tout.

    « Mais si c'est vous... Ça ne me dérange pas. »

    Mon expression perd un peu de sa narquoiserie. Quelque chose en moi croit réellement à ces mots. Peut-être qu'ils me font plus plaisir que je ne voudrais l'admettre en vérité. Tout ça me fait juste dire, au final, que malgré le pouvoir qui accompagne la couronne, cette dernière n'est pas très envieuse. Gêné par une tension invisible, je cherche un sujet sur lequel me focaliser. Il arrive à me donner l'impression d'être sans mon armure, quand il me parle de façon personnelle.

    « J'espère bien que vous ferez rouvrir ces jardins, en tout cas. C'est dommage de voir ces fleurs se faner. »

    Je me souviens avec nostalgie comme il a pu être si joli, autrefois.

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    Je ne peux pas m'empêcher de glousser sincèrement face à sa surprise, pouffant dans ma main devant son expression à moitié ébahie. Elle a quelque chose de … Touchante, si je puis dire. Sa sincérité m'est particulièrement agréable. Mon expression se fait plus joueuse alors que je reprends une gorgée de mon thé, l'air de rien, même si j'ai bien conscience que je ne trompe personne ici.

    « Je n'ai rien demandé. »

    Je joue un peu, comme je n'ai pas l'habitude de le faire d'ordinaire. Il m'est devenu très aisé de le faire, en sa présence, de manière quasiment naturelle. Mais je roule un peu des yeux lorsqu'il se met à dire qu'il est supposé m’obéir : même si c'est théoriquement vrai (et encore), quelque chose dans le fait de le voir s'inscrire dans nos « rôles » respectifs me dérange, même si je ne saurais pas dire quoi. Mais malgré ça, ma poitrine est plus légère. Je me sens tranquillisé, alors même que je n'avais pas senti jusque là la tension qui m'avait habitué. J'ignore toutefois d'où vient la fébrilité que je peux ressentir et qui me prend de court, me faisant penser un regard pensif vers ma tasse. Serait-ce de la nervosité... ? Qu'est-ce qui pourrait me faire en ressentir... ?
    L'intervention de mon interlocuteur m'empêche toutefois de creuser la question. Je cligne des yeux, laissant mon regard passer à travers la fenêtre. Ils s'attardent un instant sur les quelques couleurs que je peux distinguer d'ici là.

    « Les fleurs ne fanent jamais vraiment pour de bon. Elles reprennent juste une autre forme. »

    Mon ton s'est fait plus calme. Mon regard se trouble un peu, comme si j'étais ailleurs. J'aurais beaucoup de choses à dire, en réalité, mais je ne me sens pas de le faire. Au lieu de cela, j'expire un peu, me relevant pour m'étirer, avant qu'une pensée me passe par la tête. Le début d'un sourire doux passe sur mon visage alors que je reprends la parole, la voix plus légère.

    « Je vous ferai faire le tour, alors. J'aurais bien besoin d'un œil extérieur. »

    Je ne fais pas beaucoup de promesses, mais dans le fond, je suppose que cela en est une. En tous cas, une fois que les jours qui auront suivi auront passé. Alors que je parle et perd ainsi mon temps, mon esprit est léger.
    Les jours qui suivront sont, pour l'instant, bien loin de mes pensées.

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    Je trouvais mon nouveau poste assez ennuyant, au début. Mais c'est assez reposant, finalement ; ça change. Ça ne fait pas de mal. Je dirais même que j'ai de moins en moins envie de m'éloigner, à présent. J'aurais envie de dire que c'est à cause de la stabilité tranquille de ce rôle de garde, mais... Quelque part, je sais que c'est à cause de mon attachement grandissant. Le fait que j'apprenne à mieux le connaître. Je lui ai trouvé des qualités que je ne lui soupçonnais pas. Et quand je me rappelle du garçon timide que j'ai connu autrefois, je me dis qu'il a bien grandi. Que les deux n'ont même plus rien à voir. Alors oui, je suis rassuré pour l'avenir du royaume. Rassuré aussi que nous partagions davantage de points communs que je ne l'aurais cru. Je trouve ça amusant. Même si je n'arrive toujours pas à comprendre exactement pourquoi je perds de mon assurance en sa présence. Sans doute son charisme ou son extrême patience que j'admire. Ou ses yeux brillants. Ou ses cheveux rebelles mais soyeux.
    Brrr... Qu'est-ce qui m'arrive...
    Je tente de me ressaisir mais la perspective d'une balade avec lui me charme bien plus que je n'aurais songé, me permettant de soutenir son regard mais pas sans qu'un léger sourire timide arque mes lèvres et que mon visage chauffe. Je ne sais pas si c'est à cause du respect que j'ai pour lui. Je dois le servir. Je me suis promis de rester fidèle à la couronne tant qu'elle me rendrait la pareille. Avec Kazuo, bien sûr, je n'ai pas trouvé mon compte. Je trouvais ça bien dommage, d'ailleurs. Ses prédécesseurs n'étaient pas excellents mais ils avaient chacun le mérite d'apporter quelque chose de plus productif que juste foutre le bordel. Ma vision est biaisée car je crois que... je me suis mis à apprécier le prince. Alors j'ignore en soit comment il régnera mais ça se voit qu'il est déjà plus intelligent que son père. Et pour le moment, d'ailleurs, il n'a rien fait qui puisse me faire douter de lui, quand j'y pense. J'aime bien lui parler, en fait. Il ne s'énerve jamais. Enfin, du moins, pas avec moi.



    « Sa Majesté a été formelle. C'est vous qui devrez vous en occuper.
    -... Quoi ? »

    Je n'étais déjà pas très à l'aise lorsqu'on m'a parlé de la sentence que Natsume devait attendre. La présentation du fer rouge vif brûlé à un niveau de degré élevé m'horrifia plus que je ne le pensais, et j'ai senti mon rythme cardiaque s'accélérer brutalement. Je reconnus cette fois non pas de l'affection à ces battements effrénés mais plutôt du stress grimpant à une vitesse folle.
    Le conseiller royal me présente le bâton de fer avec un regard narquois sur moi.

    « Pour passer l'envie de recommencer... »

    Kazuo est bien assis sur son fauteuil, toisant ses serviteurs du regard, pendant que je scrute les quelques témoins présents. Ils sont peu nombreux, mais se devaient d'être là pour vérifier qu'il n'y avait pas d'entourloupes. Un noble proche du souverain lui parle d'ailleurs à voix basse en me fixant distraitement. Je crois que mon rapprochement avec Natsume s'est fait entendre par quelques impertinents qui me surveillaient en coin. J'essaye de ne pas laisser paraître mon malaise et, pour un fois, ma peur. Pourtant j'ai l'impression qu'on peut les sentir à des kilomètres.

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    Je ne devrais pas être surpris. La mine fermée alors que je les entends ricaner à voix basse, je reste immobile, me contentant d’obéir aux gardes lorsqu’ils s’attendent à que je retire le haut de mes robes pour révéler mon corps marqué ; je n’ai de toute façon rien mis qu’il serait dommage de perdre, comme à mon habitude. Si je reconnais bien là la tendance de mon géniteur à vouloir s’imposer et forcer ainsi la main de ses subordonnés pour s’assurer de leur loyauté, je suis toutefois rendu quelque peu perplexe par sa manière de prendre le chevalier de court. J’aurais cru que dans ce genre de cas, il le préviendrait au moins avant. Mais non. Il a volontairement fait le choix de ne pas le faire. De toute évidence, il s’agit d’une audition, d’un contrôle pour montrer devant témoins que l’autre obéira sans broncher.

    Et je ne sais pas s’il le fera. J’ai beau ne pas être fin psychologue, il m’est étrangement simple de deviner ce qui lui passe par la tête. Quelque part, dans le fond de ma poitrine, cette dernière se serre et se réchauffe en même temps. Qu’il hésite me touche. Qu’il hésite alors qu’il risque la mort s’il refuse m’inquiète.

    J’en oublie bien vite la chaleur du fer que je sens d’ici, les couteaux et autres instruments placés sur la table dont je connais bien la finalité, depuis le temps. Je sens un froid nerveux passer par ma poitrine, pour la première fois depuis qu’on a pu m’amener ici. J’en suis presque surpris quand je la ressens : c’est de la peur. Pas pour moi. Pas pour ce que je peux subir, mais pour mon vis-à-vis si il n’obéit pas. Il mourra. D’une part cela ne m’épargnera pas ce que je vais vivre, et d’autre part, sa tête tombera bien vite : si ce n’est dès lors qu’il sortira de la pièce. L’idée me provoque des frissons de malaise. La sensation me prend aux tripes : et elle est nouvelle pour moi. Je ne la supporte pas.

    Je reste pourtant calme, silencieux, immobile. Je ne cède pas. Pas pour moi. Pour lui. J’entends les murmures se faire plus nombreux. Il ne peut pas traîner trop longtemps : cela serait suspect. Les gardes s’éloignent un peu. Je profite qu’il soit proche pour parler sans qu’on ne m’entende ou qu’on ne voit mes lèvres bouger.

    « Je ne crierais pas. Ce sera plus simple pour vous. »

    J’imagine. Je ne peux rien faire de plus que d’essayer de l’empêcher de risquer sa vie pour ça. Cela n’en vaut pas la peine. Je reste imperturbable. Je me permettrais une expression rassurante si je ne savais pas que nous étions observés, mais je fais tout pour que mon regard soit aussi tranquille que possible.

    « Qu’est-ce que vous attendez ? Que la nuit tombe ? Nous n’avons pas que ça à faire, je vous rappelle. »

    La voix agacée de mon géniteur me revient à l’oreille et je ne me retiens pas de rouler lourdement des yeux, suscitant des grognements et des murmures indignés dans l’assemblée. Je me fiche bien de leur opinion. Sans doute savait-il que cela pourrait m’être désagréable. Mes épaules, malgré moi, sont tendues sous le coup de la colère. J’ignore comment je reste calme, alors qu’intérieurement, je me sens bouillir ; mais ne pense pas à moi. Ce qui compte, actuellement, est la personne qui a malheureusement été désignée pour se charger d’un travail que je ne lui aurais pas souhaité.

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    D'un geste brusque et pressant, on me force à tenir la barre en fer dont on a chauffé le bout, devenu luisant et rouge. Je regarde ce dernier, pouvant sentir à quelques centimètres la chaleur qui en émane. En apercevant Natsume que l'on force à avancer, mon cœur rate un battement. Il enlève son haut, prêt à recevoir la sentence. Et moi, je réalise à peine que tout ceci est en train de se passer et que je vais devoir être responsable de ce qui va lui arriver aujourd'hui. L'angoisse me monte à la gorge. Alors que le prince prend place, on me pousse dans sa direction pour commencer. Ils ne veulent pas perdre de temps. Ses mots me déchirent la poitrine. Il n'en est pas à son premier coup, mais ce n'est pas parce qu'il voudra se retenir qu'il pourra le faire. Les marquages provoquent des sensations extrêmement douloureuses, laissant des traces qui ne partent parfois jamais. Et je sais qu'il fait ça pour moi. Pour me faciliter la tâche, que je n'ai pas trop à m'en faire.
    Que je ne doive pas choisir entre ma vie ou la sienne.
    Car je suppose que c'est à ça qu'il a pensé. Il s'imagine que je vais le faire. Se doute-il que le choix ne m'est pas si aisé ?..
    Mon regard se pose sur la pointe de la lance chaude, puis sur le corps de l'autre que je suis censé marquer. Mais je sens au fond de moi qu'il y a un refus. Catégorique. Jamais je serais capable de faire ça. Je ne veux pas. Je ne peux pas. Je risque la mort, à désobéir. Mais il sera impossible que je me pardonne ce geste, si je l'exécute. Je ne suis pas comme eux. Je n'ai pas envie de faire du mal aux gens que j'aime. La colère me monte. Cela me fout en rogne, qu'on doive m'obliger une telle chose. Qu'on oblige Natsume a subir une énième punition.

    Nous n’avons pas que ça à faire, je vous rappelle.

    Mon bout dans mes veines. La voix de Kazuo s'est élevée, glaciale et impitoyable ; comme d'habitude. Je tourne vers lui un regard noir, la mâchoire serrée comme si je grognais. C'en est trop.

    « Ça tombe bien... »

    Ma poigne se serre fermement autour de la barre, dont la dureté est au moins égale à celle du coup d'œil que je lance au souverain.

    « Moi non plus. »

    Mes bras se lèvent légèrement un peu plus. Les serviteurs regardent avec attention mes gestes, comme s'ils les analysaient. Puis, d'un coup rapide, alors qu'on croirait que j'allai réellement marquer le prince, je fais tourner la barre en direction du noble le plus proche de moi. Le sceau brûlant lui atterrit au visage, et je l'enfonce tellement que sa peau se met à fondre. J'ai la rage.
    C'est peut-être le moment idéal pour que les choses changent. En vitesse, je fais de mon mieux pour détacher les liens de Natsume pendant que les autres nous observent, immobiles et sans voix pour l'instant, tandis que leur camarade hurle et se tord de douleur, de la fumée s'échappant de son visage qu'il couvre de ses mains. Tant pis si je meurs, après tout. Je sais que la couronne reviendra un jour sur la tête de quelqu'un à qui on peut faire confiance.

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    Je ne mourrai pas, mais lui si, si il refuse d’obéir. Alors je tente de me montrer aussi conciliant que possible. Quitte à ce que je m'arrache l'intérieur de la joue en la mordant si il faut pour ne pas faire de bruit. Mais je suis nerveux. Je peux sentir la tension qui grimpe chez lui ; la manière qu'il a de se crisper, de bouillir sur place. Une sensation désagréable passe dans ma poitrine. Je commence à craindre ce qui va arriver : et ce n'est pas du fer, dont j'ai peur. C'est de la manière dont son regard se durcit, de la colère que je peux voir monter dans l'or de ses yeux qui me tranquillise pourtant tant d'ordinaire. Et si commence à m'agiter sur place, c'est justement parce que je sais ce qu'il va faire. Si j'essaie de me débarrasser des liens qui entravent mon corps et ma magie, c'est pour l'arrêter avant qu'il ne soit trop tard.

    Mais je n'y arrive pas. Le fer vient directement s'écraser sur le visage du conseiller de mon père : et mes yeux s'écarquillent sur le coup de la surprise, rendu bien incapable de bouger sur l'instant lorsque le chevalier se précipite pour venir défaire mes liens. Stupéfait, il me faut quelques secondes pour réagir, ou du moins pour comprendre ce qui vient de se passer. Je l'observe sans pouvoir rien dire, ayant du mal à enregistrer ou même à croire ce que je viens de voir.

    « Traître ! »

    Les sifflements des nobles autour de nous grouillent. Les quelques gardes présents commencent à tirer leurs armes, pointées vers celui des leurs qui s'est retourné contre leurs supérieurs. Ils se rapprochent progressivement. L'image m'est familière. C'était la même chose, le jour où mon oncle Karl mourut : les soldats étaient venus le chercher, et sa tête avait roulé. Mon regard se relève celui qu'ils veulent venir chercher aujourd'hui, la peur et l'effroi s'y étant glissé.
    Mais une autre sensation, également, les rejoint. Elle remonte dans ma poitrine comme une houle vivace et forte. C'est celle qui me fait bouger subitement lorsque les gardes se rapprochent : qui me fait coller mon dos contre le sien pour le protéger des attaques qui pourraient arriver. Qui me fait relever la tête avec fermeté, l'expression agacée et furieuse.

    « Imbécile ! »

    Les flammes des torches s'étendent d'un coup net vers le plafond alors que je gronde. Mais quel crétin. Quel espèce de... Se rend-t-il compte de ce qu'il a fait ?! Si je suis en colère qu'il jette sa vie par la fenêtre, je refuse toutefois d'accepter cette idée. Non. Je ne le regarderai pas mourir comme j'ai vu d'autres le faire ; et surtout pas car il a pensé qu'il valait mieux périr que de me laisser souffrir brièvement. Et en même temps, je ne ne peux nier que son geste me réchauffe la poitrine, car c'est bien la première fois que cela arrive, qu'on me mette en avant ainsi. Je suis furieux et heureux en même temps. Glacé de peur et bouillant de détermination.
    La glace s'étend d'un coup net sur les portes : elle remonte de plusieurs mètres, venant bloquer toute sortie qui aurait pu être empruntée. Personne ne peut sortir d'ici. Personne ne peut savoir ce qui se passe ici. Et inconsciemment, j'ai déjà pris ma décision.

    « Espèce de... Triple crétin ! »

    Mes mains s'enflamment, et le feu claque devant nous comme une vague pour faire reculer et désarçonner ceux qui se seraient trop approchés. Je grogne. Je profite qu'un soldat ait fait tomber son épée pour la saisir au vol : par chance, il s'agit d'une rapière.

    « Emparez-vous d'eux ! »

    La voix nasillarde et criarde de mon géniteur me parvient tout juste à l'oreille alors qu'il se cache derrière quelques uns de ses gardes. Quelques nobles restent proches, espérant eux aussi être protégés ; les autres se sont mis à fuir près des portes gelées dans l'espoir de les déloger. Cela ne servira à rien.

    « Nous ne mourrons pas aujourd'hui. C'est compris ? »

    Ma voix prend le ton d'un ordre sec et impérieux. C'en est un. C'est bien le premier que je lui donne, mais je n'accepterai rien d'autre. Je refuse qu'il meurt. Ma propre perte conduirait également à la sienne. Et si les obstacles à sa survie doivent disparaître aujourd'hui, et bien... Qu'ils disparaissent.

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    C'est dans la tête de Kazuo, que j'aurais bien planté cette lance de fer. Mais il était plus judicieux sur le moment de m'attaquer à la personne la plus proche de moi. Je sais que je n'ai peut-être pas fait un choix intelligent en soit. Mais jamais je n'aurais pu me résoudre à l'autre solution, et gagner du temps aurait été inutile, quand on connaît les gens en face. Les mêmes qui m'accusent de traîtrise. Il est vrai, je les trahis eux, mais je considère que la pire trahison fut la leur, lorsqu'ils ont décidé de mener le royaume à sa perte par leurs décisions stupides. Aussitôt, les gardes s'agitent, les armes se dressent, et tous les regards se tournent vers moi.
    Héhé... Je suis dans la merde, on dirait.
    Comme si, depuis le temps, j'en avais quelque chose à faire. C'était sans doute la goutte de trop. Le geste décisif qui aurait achevé de me raisonner. Le signal pour me dire qu'il fallait que les choses changent, et vite. Mais si le danger m'entoure à présent, c'est l'exclamation du prince qui me fait légèrement sursauter. Je ne m'attendais pas à ce qu'il m'insulte ainsi, même si je sais que ce n'est pas vraiment une injure. Sur le moment, toutefois, je crains que mes actions aient ruiné un de ses plans, mais je veux croire qu'il m'en aurait parlé avant, si c'était le cas.
    Il s'inquiète pour moi ?..
    Si ça aurait pu être une évidence pour certains, je ne m'attendais pas à ce qu'il me prenne vraiment en pitié ou en affection. Et pourtant, le voir en colère et soucieux à mon propos ravive une étincelle dans ma poitrine. Je mentirais si je disais que ça ne me faisait pas plaisir. Mais sentant son dos collé au mien, un regain d'énergie m'entraîne et me revigore. Je sais qu'il est à mes côtés. Qu'il est vivant, et que je ne l'ai pas blessé. Ce fait me rassure bien plus que la mort elle-même qui risque de m'attendre.

    Mes yeux se détournent un bref instant pour contempler les flammes aux murs qui se sont élevées. Les portes se gèlent. Nous sommes enfermés. Je devine toutefois que c'est un tour de mon allié, qui a décidé, lui aussi, d'agir. Bon, plus ou moins par obligation, vu qu'il ne s'attendait visiblement pas à ce qu'on décide de tout brûler tout de suite.
    J'avais oublié qu'il faisait de la magie...
    Impressionné par ses prouesses, même si je trouve aussi ça parfois flippant, je n'en perds pas néanmoins ma concentration, quoique surpris par sa détermination et son commande, qui me fait sourire d'un air satisfait.

    « Vos désirs sont des ordres. »

    Je ne compte pas mourir aujourd'hui. Et je risque pas ma vie pour que l'autre perde la sienne non plus. Alors tandis que certains témoins tentent de s'enfuir ou nous supplie déjà de les épargner, je n'hésite pas à lancer un coup d'épée pour sectionner le bras du premier individu qui a cru bon de m'attaquer. Cela fait un moment que je n'avais pas pu me défouler ainsi, mais je n'hésite plus, lâchant un ricanement suffisant de pouvoir enfin me lâcher quand je me suis retenu si longtemps. Avec agilité, j'esquive, je feinte, et je renvoie la pareille à mes agresseurs. Mon attention est toutefois vite détournée par un chevalier qui veut surprendre le prince pendant que ce dernier ne le voit pas.

    « Attention ! »

    L'épée de l'adversaire m'arrive dans l'épaule, me faisant grogner. Avant qu'il n'ait pu la déloger, toutefois, je m'empresse de lui couper la tête d'un mouvement rapide de ma lame. Et je recommence pour les autres, ayant attendu patiemment qu'un jour comme celui arrive. Si Natsume peut se débrouiller sans moi, je ne peux m'empêcher, malgré tout, d'être sa lance et son bouclier lorsque la situation l'exige. Je suis anxieux de son sort mais je sais qu'il risque moins gros.
    Le sang s'éparpille au sol.
    Nos ennemis deviennent progressivement moins nombreux.
    Ils n'étaient pas beaucoup en nombre, de toute façon, mais nous arrivons à un moment où Kazuo a bien du mal à trouver quelqu'un derrière qui se cacher. C'est vers lui que mon regard assassin se tourne.

    « Que fait-on de lui, Altesse ? »

    Il faudra bien que cette question se pose, n'est-ce pas ?

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    Cela faisait un moment que je ne m'étais pas battu. Je ne suis pas entièrement rouillé, heureusement, et je n'ai de toute façon pas le temps de l'être. Mon cœur bat vite dans ma poitrine. Si je me défends plus qu'autre chose au départ, la lame de ma rapière finit par pénétrer une gorge ; je m'arrête un instant, comme figé. L'homme en moi s'immobilise et s'étouffe dès lors que je la retire, et je le vois s'effondrer immédiatement, dans un bruit de gargouillis immondes. J'ai un instant de gel, l'observant sans rien dire. C'est la première personne que je tue.
    Mais cet instant d'inattention me coûte cher : ou du moins, coûte cher à mon allié, que je ne vois que lorsqu'il s'interpose pour prendre un coup à ma place. Mes yeux s'écarquillent sous le coup du choc. La faute est mienne. À me laisser distraire ainsi, aussi stupidement, à me laisser aller à de faibles doutes alors que nous sommes déjà lancés sur un chemin sans retour et que je suis le premier à avoir fermé les portes de cette pièce, j'ai mis quelqu'un d'autre en danger. Je l'ai mis en danger. L'inquiétude remonte violemment à ma poitrine et j'ai bien du mal à détacher mon regard de son épaule ensanglantée, ne faisant ironiquement même pas attention à la tête qui s'envole l'instant d'après. Je ne peux pas me permettre de faire dans la dentelle maintenant, ou de me laisser aller à de beaux sentiments ; je ne suis pas seul. Et je préfère encore trancher cent gorges qu'il ne soit blessé par ma faute.

    Il suffisait de cela pour que je me reprenne. Tout ce qui suit me paraît flou ; je ne suis plus les bras qui tombent, le sang qui gicle sur mon torse et sur le bas de mes robes, les corps qui s'effondrent, les hurlements qui s'en suivent, l'odeur de chair brûlée lorsque ma magie prend le relais de ma lame. Dos contre mon allié, je ne sens toutefois que sa présence et la que la sensation de mon cœur qui pourrait sortir de ma poitrine d'un instant à l'autre. Et j'ignore pourquoi je ne suis pas plus surpris ni choqué que ça par son comportement, par la manière qu'il a de se battre comme si cela lui plaisait, ou la satisfaction qu'il semble tirer de ce qui se passe. Je m'en fiche. Cela ne me dérange pas. Je savais dans quoi je m'embarquais, en fermant ces portes ; et je ne regrette pas. Et quitte à plonger mes mains dans le sang, je n'aurais pas pu choisir meilleur partenaire.

    Mais bientôt, les vivants se font moindres. Ceux qui s'étaient rapprochés des portes pour s'enfuir ont fini percés par des lames de glaces ; et ceux qui voulaient se battre sont maintenant effondrés au sol, entiers ou non. Ne reste plus, du coup, que leur roi, sur lequel mon allié attire mon attention. Il semble terrifié, indigné et choqué. Sans doute ne s'attendait-il pas à ça, aujourd'hui : mais moi non plus. Je pensais simplement que la journée se terminerait dans la douleur et dans le silence. Et quelque part, c'est bien le cas : mais pas pour moi. Alors face à la question qui m'est posée, je n'hésite pas longuement, le regard dur et froid, indifférent à la crainte que je peux voir dans le regard de mon géniteur. Je sais, de toute façon, ce que veut le chevalier. Et je n'ai pas de raison d'objecter.

    « Terminer le ménage. »

    J'ai souvent imaginé ce moment. Pas forcément sa mort : j'avais parfois imaginé que je pourrais peut-être l'enfermer dans le cachot le plus affreux pour le restant de ses jours et le narguer jusqu'à ce qu'il ne rende son dernier souffle, que je le tuerais après un coup d'état tonitruant ou même que je le ferais dans le silence de la nuit, un jour, sans même qu'il ne le remarque. J'avais imaginé beaucoup de choses, et en même temps, je n'y avais jamais vraiment cru. Et je m'imaginais bien seul.
    En silence, je laisse tomber ma rapière. Je me rapproche de mon interlocuteur et porter ma main vers la garde de son épée, de telle manière à ce qu'elle vienne se poser contre la sienne. Comme cela, nos mains seront toutes autant couvertes de sang. Mon regard se lève vers le sien alors que l'épée se trouve maintenant contre la poitrine de mon père.

    « Le roi est mort. »

    Ma voix est calme, presque froide. Il s'agit plus d'une proposition que d'une affirmation. Je ne regarde même plus l'homme pathétique en face de nous, me contentant de chercher dans les yeux de mon interlocuteur une une réponse que je crois déjà connaître.

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    Je suis étonné de la relative facilité avec laquelle le combat s'est déroulé. Ou plutôt, j'ai l'impression qu'aujourd'hui Kazuo ne s'était pas entouré de ses meilleurs défenseurs ; dans le cas contraire, ces derniers ne sont pas très bons. Je me rends compte que j'aurais pu terminer tout ça bien plus tôt. Les conditions demeuraient toutefois difficiles. J'ignorais dans quelle situation j'aurais pu me débarrasser de lui sans que personne ne le voit. Il fallait vraiment un moment où il était de sorti, et surtout peu protégé. Il a tellement eu l'habitude qu'on lui obéisse et surtout qu'il ne se passe rien pendant que Natsume se fait torturer qu'il a baisser sa garde, son ennuie de l'événement lui faisant défaut à présent. Sans doute qu'il se voyait déjà peu prêter attention à la scène et attendre que tout ça se passe sans interruption. Au final, mon acte de rébellion (ou 'traîtrise' comme ils l'ont appelé) s'est faite un peu par hasard mais je n'ai pas pu m'en empêcher. La présence de Natsume, quelque part, m'a rassuré. A envoyé valser la peur que j'aurais pu avoir. Je me suis dit qu'il valait bien que je prenne le risque. Ensemble, finalement, nous avons pu nous en sortir.
    Contrairement à Kazuo qui tremble depuis tout à l'heure pour ce qui va lui arriver, maintenant qu'il a vu tous ses serviteurs tomber les uns après les autres. La réponse de l'héritier me fait esquisser un rictus satisfait et venimeux en direction du roi bientôt déchu. On dirait que ce dernier a perdu sa langue, pour une fois. La preuve que quand il veut, il peut...

    Prêt à en découdre, je sens toutefois mon camarade se rapprocher pour poser sa main sur la mienne, toujours fermement serrée autour de mon épée. Ce n'est pas le moment d'y songer mais j'ai l'impression que mon cœur bat plus fort, d'un seul. En dépit du sang sur nos doigts, sa paume dégage une certaine chaleur. Surpris par son geste, je lève lentement mon regard pour plonger mes yeux dans les siens, comme si le temps s'était arrêté et qu'il n'y avait plus que nous deux. Mon attention revient à la réalité lorsqu'il prononce les mots fatidique, que je comprends que quelques secondes après. Mon visage se baisse vers Kazuo, apeuré quant à ce qu'on pourrait lui faire, maintenant qu'il est seul et sans protection, qu'il a été témoin de ce qui est arrivé à ses subordonnés qui ont osé nous tenir tête. Pendant un instant, je me demande si ça ne serait pas plus cruel de lui faire subir à la place toutes les tortures qu'il a infligé à son propre fils. Ou alors de le laisser croupir dans les douves pendant que son trône et sa couronne lui filent entre les doigts une bonne fois pour toutes ; car je suis convaincu qu'il n'y a rien qu'il chérit plus que de nous avoir regardé de haut pendant toutes ces années en ayant les pleins pouvoirs sur les vies qu'il a arraché. Oui, je me demande si ça ne serait pas une sentence encore pire, à la hauteur des crimes qu'il a commis ; car au fond, le sang sur nos corps est bien peu comparé à celui qu'il a fait couler.

    Les images défilent. Autour des nous, les flammes qui se sont embrasées au plafond ont pris d'assaut les murs et les tapisseries entourant la pièce sans pour autant se faire menaçant. Au milieu de ces braises qui éclairent la salle d'une douce lumière orangée, je revois le sourire de mon père qu'il m'a adressé juste avant de mourir. De suivre Karl et les autres parmi les braves chevaliers qui sont tombés alors qu'ils servaient leur royaume avec plus de noblesse que ce monarque de pacotille n'en a jamais eu. J'imagine les séances de punition que Natsume a dû, à tort, endurer par sa faute. Je me rappelle tout le mal que cet homme... que ce monstre a fait autour de lui. Et alors la perspective de le laisser en vie me tente de moins en moins. La mort est presque un jugement trop doux. Mais après tout, c'est aussi la chose qui lui a toujours fait le plus peur. Alors quoi de mieux, pour achever ce tableau que nous avons peint ensemble ?
    Mes yeux dorés se posent à nouveau sur ceux de mon ami. Une certaine fierté et un sentiment d'apaisement s'emparent de moi.

    « Vive le roi. »

    Et ce n'est pas de celui en face de nous, dont je parle. Nos mains jointes font s'abattre sur lui l'épée vengeresse qui m'a servi à éliminer tous ceux qui nous voulait du mal. Cette même lame fond sur Kazuo pour atteindre sa poitrine et empaler son cœur. Dans un râle, il rend son dernier souffle devant nous. Il y a une certaine satisfaction de savoir que notre vue est la dernière qu'il a avant de mourir. Il me faut un temps avant de réaliser ce que nous venons de faire, et les conséquences qui en ont découler.

    « Il est... mort... »

    Enfin ?.. Enfin... Je peine à y croire. Je peine à réaliser. C'est comme un rêve éveillé, mais je suis persuadé que je ne dos pas, actuellement. Ou alors je préfère vivre dans cette utopie illusoire plutôt que de retourner à la réalité, si je n'y suis pas déjà. Ma paume est pourtant toujours serrer contre mon épée. Avec lenteur, je relâche mon emprise, mais prend la main qui était sur la mienne. Un bref coup d'œil autour de moi me permet de prendre conscience que nous sommes véritablement les seuls survivants de ce qui vient d'arriver.
    Le roi est mort.
    Je me tourne vers la seule autre personne encore vivante près de moi.
    Non... Ce n'est pas tout à fait vrai.
    J'en avais oublié qu'il était encore torse nu, mais ce n'est pas exactement ce à quoi je pense à l'instant. Je l'observe pour vérifier qu'il n'y ait pas quelques blessures qu'il aurait pu avoir. Je me jette ensuite sur lui pour l'enlacer et le serrer contre moi, comme si j'avais eu peur de le perdre. Je le protégeais, bien sûr, mais je n'oublie pas que j'ai bien failli marquer son corps à vie d'un souvenir douloureux. Je suis juste heureux et soulagé de ne pas avoir eu à le faire et que nous nous en sommes sortis sains et saufs.
    Puis, doucement, je m'éloigne un peu de lui, comme si j'avais soudainement réalisé quelque chose.

    « Majesté... »

    Maladroitement, j'exécute une brève révérence, me rendant compte que, si Kazuo, le roi, est mort, alors ça veut dire que nous en avons un nouveau.


    Dernière édition par samalo le Dim 17 Avr 2022 - 14:58, édité 1 fois

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    Tuer quelqu'un est affreusement facile : voilà ce que j'aurais constaté aujourd'hui. C'est aisé, rapide, et cela correspond pourtant aux derniers instants de conscience d'une personne. Je sais que cela ne sera pas différent : et cela ne l'est pas. Dès lors que j'entends les mots que j'attendais, je n'hésite pas. J'aurais cru que ce serait plus complexe, que ce serait plus grandiose, ou au contraire, que ce serait plus honteux. Ce n'est rien de tout ça, et je m'en fiche. Je n'ai pas besoin de plus.
    J'observe mon père mourir sans mot. La lame s'est enfoncée dans sa poitrine sans résistance : son corps s'est agité pendant quelques moments, dans des derniers instants de conscience, comme si il tentait de s'échapper. Mais cela ne sert à rien : sa mort est rapide, sans panache, quelconque. Kazuo Shimomura n'était après tout qu'un humain comme les autres ; et il m'est difficile de comprendre qu'un homme qui ait pu me faire tout ce qu'il m'a fait disparaisse aussi aisément que cela.

    Je reste immobile, ne venant pas confirmer la constatation de mon allié, le regard fixé sur le cadavre et son expression figée dans la douleur et l'effroi. L'idée a du mal à faire son chemin ; mais mon attention est volée par les bras qui me rapprochent de mon vis et qui s'enserrent autour de moi. Surpris, mes yeux s'ouvrent quand je n'ai pourtant de mouvement de recul ou de rejet. Je n'ai que faire du sang sur nos mains, nos vêtements et mon corps, mais je ne suis pas habitué à être touché ou approché sans que cela ne suscite de douleur. Mais c'est agréable. La chaleur qui emplit ma poitrine me tranquillise et apaise les battements de mon cœur qui n'a pas cessé de s'agiter depuis  tout à l'heure. Avec hésitation, mes propres mains se portent dans son dos comme pour m'accrocher à quelque chose et sentir que je ne suis pas seul. J'en ai besoin sur l'instant, et je l'ignorais pourtant.

    Mais lorsqu'il s'éloigne, je ne comprends pas tout de suite ce qu'il veut dire. C'est lorsque je le vois s'incliner dans une révérence que cela me revient alors.
    Je... Suis roi.
    La pensée ne suscite chez moi aucune satisfaction ou effroi particulier. Je savais que cela arriverait un jour, mais je n'imaginais pas que ce serait si vite, et tout ce que cela signifie ne me passe pas encore par la fenêtre. Je reste immobile. Lorsque nous sortirons de cette pièce et lorsque nous mentirons quant aux causes de ce massacre, je ne serais plus un prince aux yeux de tous. Mais ce n'est pas ce qui me préoccupe sur le moment.

    Mes yeux se reposent sur l'épaule blessée de mon allié. Immédiatement, oubliant les corps, le sang et les membres qui se trouvent au sol, je viens poser mes mains sur le contour de cette dernière pour tenter d'y apposer ma magie. Ma poitrine se serre en repensant à l'erreur stupide que j'ai commise.

    « Je suis désolé, j'aurais dû... »

    Je tente de trouver mes mots, mais ils me viennent pas. Mon regard passe de son épaule à son visage, de sa blessure que je panse comme je le peux à ses yeux dans lesquels je cherche à la fois des signes de douleur mais aussi quelque chose qui me confirme qu'il va bien. Je n'arrive pas à formuler ce qui me passe par la tête et la poitrine, à exprimer ce que je peux ressentir quand je le vois blessé par ma faute mais vivant malgré tout. Au lieu de cela, comme il l'a fait il y a quelques instants, car cela me vient aussi naturellement que respirer, c'est à mon tour de le prendre contre moi comme si j'avais crains qu'il ne périsse. Bientôt, il faudra sortir et mentir : prétendre que tout cela était un coup monté, ou autre. Peu importe. Sur l'instant, la couronne qui se posera bientôt sur ma tête n'a aucune importance.

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    Que se passera-t-il, lorsque les flammes s'éteindront ? Lorsque nous sortirons de cette salle ? Pourrons-nous retrouver une vie normale et prospère, celle dont nous avons rêvé lorsque nous pensions à la chute de Kazuo ? Je ne m'attendais pas spécialement à ce qu'elle se fasse comme ça, sur un bête coup de tête de ma part, mais ce qui est fait est fait. Plus qu'à espérer que nous puissions agir comme nous l'avons imaginé une fois que Natsume aurait eu accès au trône et que nous ne nous retrouvions pas avec des complications supplémentaires. Ce n'est pas de ça dont nous aurons besoin, après ce que nous venons de traverser. Mais plus j'y pense, et plus une mort aussi ridicule sied bien à notre ancien souverain, en fin de compte.
    Avec douceur, les mains de mon ami se posent sur mon épaule pour y prodiguer un sort de soin. Je ne faisais pas attention à la douleur que je pouvais ressentir dans cette dernière, mais c'est plutôt agréable. Je me décontracte progressivement, estimant cependant qu'il n'a aucune excuse à faire. Si je secoue la tête comme pour lui répondre, je suis pris de court par son corps contre le mien qui vient s'y coller pour me retourner l'étreinte que je lui ai offerte. Moi qui pensais que mon geste pouvait être vu comme déplacé... Mais je ne vais pas me plaindre. Je passe mes bras dans son dos nu, caressant sa peau en dépit des élans d'hémoglobines que nous y avons laissé.

    « Non, c'est moi, je n'aurais peut-être pas dû... Ce n'était pas ma meilleure idée. »

    Après tout, c'est moi qui ai fait n'importe quoi. Si je peux deviner qu'il ne désapprouve pas mes choix à présent, cela ne m'empêche pas de me dire qu'une autre solution aurait pu être choisie.
    Mais à présent que le plus dur est passé, je me permets de me détendre et de penser à autre chose. Je crois que c'est bien la première fois où je m'autorise vraiment à être aussi proche de lui. Mon cœur en devient fou, mais j'aime le sentir contre moi.

    « C'est juste... Je ne pouvais pas me résoudre à... vous faire du mal. »

    Faire ce choix aurait été terrible pour moi ; je m'en serais difficilement remis. Cela m'aurait placé au même rang que les tortionnaires qui lui ont fait subir tout ça, voire être comme Kazuo. Et il était hors de question que ça arrive.
    Je me sens bien, dans ses bras. Je me détache pourtant afin de le regarder, mais sans trop éloigner mon visage. Une force invisible m'empêche de vraiment m'écarter de lui.

    « Je suis soulagé de ne pas l'avoir fait. »

    Cela valait la peine, pour moi, de me rebeller aujourd'hui et d'en finir une bonne fois pour toutes. Plus personne pour nous dire quoi faire, plus personne à qui obéir, devant qui se plier sans protestation. Il n'y a que ses ordres, que je pourrais suivre.
    Comme attiré, mon visage se rapproche du sien. Je me laisse porter par mes sentiments, encore incertains mais qui me guident vers lui. Avec douceur, je me permets de l'embrasser. J'avais cette envie depuis quelques temps, sans me mentir à moi-même. Je veux profiter de cet instant pour me débarrasser de ce désir en découvrant si c'est voué à l'échec ou si l'impression que j'ai eu se révèle exact concernant mon attirance pour lui.

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    Mon inquiétude a pris le pas sur tout le reste. Je ne me préoccupe de rien d'autre : et jusqu'à présent, je ne m'étais pas rendu compte d'à quel point cette pensée était puissante chez moi. Mais c'est bien la première fois que j'ai pu ressentir de la peur. J'imagine... Que cela a été son cas aussi, quand bien même j'ai bien du mal à me conceptualiser l'idée. Mais peu importe. Mon rythme cardiaque est toujours élevé, mais je le sens se tranquilliser au fur et à mesure que les secondes passent. Si j'ai pu me tendre brièvement lorsque ses mains se sont mis à caresser mon dos, et non car la sensation du sang sur ma peau m'ait surpris ou que j'y ai même pensée plus que ça, je finis toutefois par me détendre, expirant de soulagement.
    Je sens mes joues rougir et mon pauvre cœur, déjà bien malmené aujourd'hui, se remettre à battre rapidement. Hormis ma mère, ma sœur et Aloïs, donc quelqu'un de ma famille, personne n'avait jamais vraiment eu ce que je pouvais ressentir et vivre à cœur. Toutes les actions étaient intéressées : et je m'y étais habitué. Voilà pourquoi de vives couleurs passent sur mon visage et pourquoi je me retrouve bien fébrile, quand bien même la sensation m'est inhabituelle. Son regard me paraît bien intimidant, tout à coup ; bien plus que tous ceux que nous avons affronté ce soir.

    J'ai pourtant bien du mal à m'en éloigner. Sans nul doute le faudrait-il, mais quelque chose dans mes tripes me retient, me tient immobile alors que je devrais sans doute porter mon attention vers le massacre autour de nous. Rien de tout cela n'arrive, pourtant. Mes yeux ne se portent que vers les siens ; et j'en oublie l'odeur de mort, les cadavres à nos yeux, le sang sur nos mains. Et lorsque ses lèvres se portent sur les miennes, rien de tout cela n'a d'importance.
    Le contact me surprend et ne me surprend pas en même temps. J'ai un simple moment d'immobilisme, une seconde où les sensations nouvelles et la surprise me prennent de court. La chaleur fleurit dans ma poitrine qui se trouvait bien froide jusque là, remontant dans ma gorge pour venir la nouer avec toute la fébrilité que je peux ressentir sur l'instant. Un frisson descend mon dos et mes propres lèvres, lentement mais sûrement, se mettent à leur tour à caresser celles de mon vis à vis. Mes yeux se ferment, mon visage se fait chaud. Mon cœur ne se calme pas. Je ne suis ni choqué, ni surpris, comme si cela faisait parfaitement sens, et comme si mon propre corps attendait que nous nous embrassions ainsi depuis un moment maintenant.

    Je m'éloigne un instant, ne serait-ce que pour ma respiration, qui me semble plus rapide. Les joues rosies, le regard plus fiévreux, je cherche le sien comme pour y trouver le même soulagement, la même attente. Je me fiche bien de mettre les mots sur ce qui m'anime à l'instant. Ma main vient saisir sa nuque avec moins de délicatesse, se perd dans ses cheveux, sans faire attention au rouge qui s'y perd, pour venir pousser son visage contre le mien et mes lèvres se collent aux siennes, plus désireuses et plus vivaces. En moi, il n'y a qu'un sentiment.
    Enfin.

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